mardi 19 juin 2018

ALONE ON MOON / 31


DU COTÉ DE CHEZ DICK.
Le parc était presque désert. David, de son banc, laissait errer un regard vague. Là-bas, sur la pelouse, il y avait un type en combinaison de travail orange (un prisonnier ?) qui manipulait un truc… un appareil… un outil…? Vu de loin ça pouvait passer pour un aspirateur à feuilles mortes ou un détecteur de métaux. Il avançait de côté, balayant la largeur de la pelouse de gauche à droite, puis reculait, faisait un autre rang de droite à gauche. David pensa "boustrophédon", en se demandant ce que venait faire ce mot dans sa tête et ce qu'il pouvait bien vouloir dire. Il se redressa et, en concentrant son attention, il vit que l'engin manipulé par le prisonnier (?) était en fait une sorte de sulfateuse, mais faisant office de pistolet à peinture : là où il était passé, la pelouse était grise.
Grise ?! Ce type était en train de peindre l'herbe en gris ?!
Un courant d'air froid passa entre les arbres de l'allée, quelques feuilles tombèrent. David réprima un frisson. Il se rassit et, baissant les yeux sur le gravier de l'allée, il vit que les graviers étaient……? Il se pencha et en ramassa un. Un caillou blanc, vaguement rond, comme un galet, mais avec trois marques sombres, trois creux disposés en triangle qui dessinaient deux yeux, une bouche… comme un visage…
Comme une tête de mort.
Le caillou glacé glissa des doigts de David, percuta les autres au sol, les rejoignit. David se rendit compte que ses pieds reposaient sur des millions de crânes minuscules, desséchés, craquant comme des coquilles d'escargots. Il releva les jambes, posa les pieds sur le banc, s'allongea.
Le banc se referma sur lui.

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Le naufragé sur l'ile de chair (d'après un titre de Robert Darvel et un dessin de Fred Grivaud pour le Carnoplaste - collection Aventures) (Sans leur demander la permission)
Je ne comprenais pas comment j'arrivais là. (Il n'est pas sûr d'ailleurs que parler en alexandrin avec rime intérieure à la césure allait arranger mes affaires.) En bref, j'étais naufragé, jeté hagard sur la plage d'une ile déserte. Déserte…? C'est la question qu'il faut toujours se poser, dans ce genre de cas… Quant à la plage…? La texture du sol où j'étais affalé n'évoquait en rien le sable. On aurait dit plutôt… de la chair. De la peau tiède et douce et rosée de femme.
Je bandais. Et comme j'étais à poil, les vagues et les crabes ayant dévoré mes vêtements, si je me levais, ça allait se voir. Mais par qui ? L'ile n'était-elle pas, comme il se doit, déserte ? Je levai les yeux vers la lisière de la forêt qui bordait la plage. Une silhouette manifestement féminine se détachait sur fond de ciel dans une trouée entre les arbres velus. Féminine et armée : son bras se prolongeait par ce qui pouvait être, vu de loin, un fusil-harpon de pêche sous-marine ou un arbalète médiévale. Vue de plus près (car elle s'était approchée – moi, j'étais cloué au sol), c'était bien une arbalète (bricolée). A part ça, elle ne portait rien d'autre qu'une ceinture de cuir à laquelle s'accrochait le fourreau d'un couteau de chasse. Sa peau était d'un profond vert luisant. Elle dégageait un parfum sui generis exceptionnel. Elle me prit par les cheveux et, d'une main, me releva. Je m'extrayai de la chair de la plage avec un bruit de succion. (Désolé, mais aucun dictionnaire d'orthographe ne donne un passé simple au verbe extraire ou s'extraire. J'ai improvisé.)
La suite, ce fut la torture rouge, le radeau de la méduse, le bain de minuit avec Tarzan (toujours impeccablement rasé) et pas mal d'autres aventures exotiques, des prises de bec avec un cacatoès au cours d'un karaoké, des brachiations dans les lianes et l'odyssée que fut l'accession au sommet de l'ile en triporteuse en bambou. (L'indigène au harpon était une fière bricoleuse. Elle parlait suédois, ça aide.)

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L'homme à la jambe de femme (d'après un titre de Robert Darvel pour le Carnoplaste - collection Aventures)
Suite à un accident et à l'amputation qui suivit, les chirurgiens greffèrent à Ludovic Fournaise une jambe de femme. Pendant la première année, il la traina péniblement, inerte. Pour le fun, il la fit tatouer : aucune douleur. Puis, petit à petit, les connexions artères, veines, nerfs s'établirent et s'installèrent solidement. Le signe en fut la poussée des poils : sa jambe était enfin valide, vivante.
Ludovic acheta de la cire à épiler. La douleur commença.


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