dimanche 2 novembre 2008

CRISE EN THÈME

LO N° 249
L'ARGENT DETTE / 2ème



Le film canadien de Grignon que je vous conseillais il y a quelques jours fait polémique, semble-t-il. On peut aller voir sur @SI (arrêt sur image) ou sur Rue 89. Apparemment, beaucoup de gens l'ont transmis, beaucoup de journalistes bloggeurs l'ont installé chez eux, et les réactions se compteraient par milliers. Beaucoup seraient du style : "Ah bon ? C'est vrai ? L'argent n'existe pas ?! On nous aurait menti ?!"
("On" ne nous cache rien, en fait : les banquiers appliquent ce qui est écrit noir sur blanc dans les manuels d'économie première année… alors le désir soudain de "faire la lumière", l'exigence de "transparence"… = foutaise démago du Shark et de son ministère de la dépense : il ressortent ça à tous les coups, ça fait toujours bien.)
D'autres critiquent certains points historiques ou le côté "théorie du complot" qui clôt le film. Et cépafo. Il s'agit bien d'un film "à thèse", pédagogique, certes, ou "de vulgarisation" puisqu'on n'a pas tous fait de études d'économie et qu'à l'école on ne nous a jamais enseigné l'histoire de l'argent, du troc aux subprimes. Il s'agit donc d'une fable, d'un apologue qui fait la promotion de l'idée de croissance zéro, voire de décroissance. Film, donc, en ce sens, "de propagande" usant parfois de moyens discutables : explications partielles ou partiales, incomplètes, appuyées sur nos préjugés les plus courants ("l'intérêt, c'est du vol… les banquiers, c'est des parasites"…) — manipulation, donc, au même titre qu'un Michael Moore ou un Cauchemar de Darwin.
Je tire un bon nombre de ces décryptages du site de @SI, comme dit plus haut. J'ajoute que leur décryptage fait aussi un sort à l'accusation d'antisémitisme lancée par Rue89. En effet, tout à coup, comme par hasard, quand il est question d'argent, de banque, de conspiration internationale, quand le nom de Rothschild est prononcé (comment faire autrement ?!), apparaît le fantasme antisémite, la remontée, comme un rot aigre, d'une vieille habitude de pensée. (Si ça vous rappelle l'affaire val-siné, vous n'avez pas tort.)
Ce qui est rigolo, c'est que, passé un moment, ce n'est plus "la crise" qui est en jeu, qui est l'objet des discussions, c'est le film de Grignon. Un peu comme, lors du référendum anticonstitutionnel européen, il est venu un moment où ce n'était plus le traité qui était en cause mais les textes d'Etienne Chouard sur le sujet…

Je vais donc parler de complot, de complicité, de complaisance et de complexité.

COMPLOT
La théorie du complot, c'est pratique. Ça nous offre une solution de facilité par simplification de la réalité : il y a un complot = il y a un ou des coupables. Qu'ils soient réels ou supposés-soupçonnés (boucs émissaires), des méchants, des coupables, c'est toujours pratique : on les trouve, on les prend, on les pend. Le méchant d'un James Bond est vite repéré et finalement éliminé — et le monde est sauvé. C'est Hollywood, d'accord, mais pas seulement. Chacun de nous fonctionne peu ou prou comme ça, à commencer par le Shark qui, d'emblée, cherche les coupables et promet des sanctions.
En l'occurrence, les coupables, ce serait "les banquiers". Et il est vrai que la situation actuelle ("la crise") rend plausible (seulement plausible) l'idée d'un complot. Parce qu'à force, l'incroyable complexité des marchés en devient suspecte : je me dis qu'il doit y avoir quelque part des gens qui complexifient les choses volontairement, pour brouiller les pistes, pour que personne n'y comprenne plus rien… Peut-être, mais si c'est le cas… effet boomerang : eux non plus n'y comprennent plus rien. "Eux", pas plus que "nous", ne peuvent appréhender toutes les données. (Bien fait pour eux !)
À plus petite échelle, ponctuellement, il y a vraiment des complots, sans doute, oui, comme les ententes secrètes et illégales entre distributeurs censément concurrents sur les prix de vente des yaourts et autres. Mais ne pas s'obnubiler là-dessus, ce n'est pas le plus grave, juste l'arbre qui cache la forêt, pour employer le cliché d'usage, malgré les interventions répétées de la police anti-cliché (dont je fais partie, au sein du comité secret "Pour en finir avec : ne pas jeter la cerise avec l'eau du gâteau".)
Plus loin, il y a sans doute une complicité globale (claire ou floue) entre possédants pour posséder plus… une solidarité de classe.
A priori, tout le monde veut "posséder", oui. Mais pour la plupart, il s'agit juste de combler les besoins primaires, posséder de quoi vivre dignement, ou vivre tout court : habitation, vêtements, nourriture. Pour d'autres, la question de satisfaire les besoins primaires ne s'est jamais posée (fils de riches). D'autres encore, par leur travail ou autres moyens, ont dépassé le stade (seuil) de la satisfaction des besoins primaires, et sont entrés dans la classe des possédants ("nouveaux riches"). Que se passe-t-il alors ? Changement de monde, de mode de vie, de groupe humain, de classe sociale… et, souvent, de mode de pensée : entrée dans une psychologie du "toujours plus". Non seulement on ne veut pas perdre ce que l'on a (hérité ou acquis), mais on veut plus, toujours plus.
De plus, libéré du besoin, on peut entrer dans le domaine de la jouissance et du jeu.

JEU
Puisqu'il est question de spéculation, de Bourse, il faut bien en venir à la notion de jeu. Quand les besoins primaires sont comblés, quand ils ne posent plus problème, ils deviennent en quelque sorte invisibles, on peut les oublier ; un peu comme dans l'apprentissage de la conduite automobile : à un certain stade, on n'a plus à penser à chaque geste, ils sont oubliés, intégrés, passés en automatique, devenus réflexes. Mais alors on peut avoir envie de "passer à la vitesse supérieure", piloter en rallye ou en F1. C'est-à-dire JOUER.
Ce qui nous mène, pour en revenir au domaine de l'argent, au casino… ou à la Bourse, "casino géant".

BOURSICOTI BOURSICOTON
Au premier pas, l'investissement, il y a juste prêter (à intérêt) l'argent qu'on a "en trop"… Faire fructifier. Ce n'est pas encore le grand jeu, le risque est minimum. C'est sérieux, rapiat, onc'Picsou, pas très marrant…
Ensuite, par contre, la Bourse… spéculer, jouer, jongler avec les achats et les ventes, c'est jouissif. Il y a jeu, il y a jouissance… Et ça change pas mal de choses. Alors, si certain a la prudence de ne jamais toucher à son capital primaire (habitation, vêtements, nourriture), un autre, "pris par le jeu", va perdre les pédales et en venir à risquer son capital primaire lui-même. Ceci dépendant du caractère de chacun, de son degré d'infantilisme.
Mais il y a aussi un aspect collectif, un phénomène de masse : le jeu en Bourse fait oublier, semble-t-il, que les chiffres qu'on manipule là, qu'on échange, tout ce virtuel… sont, en principe, à la base, de l'argent… c'est-à-dire du travail, des matériaux, des matières premières, des mines, du travail, des usines, des champs, du travail… On peut oublier que le coton coté sur l'écran habille des gens avant d'être un objet de spéculation. On peut oublier qu'une usine de pneus produit des objets nécessaires à tout un chacun, et par ailleurs emploie des ouvriers, des cadres, des dactylos, DES GENS.
On oublie que derrière ces chiffres (abstraits) il y a de l'argent (symbolique) et des choses réelles) et des gens (plus que réels : existant, produisant et consommant, vivant). Autrement dit encore, ayant oublié ses propres besoins primaires (habitation, vêtements, nourriture), on oublie qu'on manipule, au delà des jolis chiffres et graphiques, les besoins primaires de tout le monde. Manipule et perturbe voire annihile.
Logiquement, on ferait des révolutions et on couperait des têtes pour moins que ça.

PENDONS-LES ! (Par leurs couilles en or, dirait Siné.)
Mais ces méchants, ces comploteurs, donc, apparaissent essentiellement inconscients. Ils sont très cons, en fait. (L'un des intervenants sur @SI souligne leur incroyable bêtise !) Mon père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. (Ouais…? Surtout certains.)
Ajoutons que quand le bouc émissaire désigné n'est pas un individu ou un petit groupe mais toute une classe humaine, son élimination est plus problématique. (L'exemple des Juifs sous Hitler est évident.) Si un patron ou un banquier est aisément repérable et donc éliminable, par contre, quand il s'agit des actionnaires…

LES PATRONS
Aujourd'hui "les patrons", victimes expiatoires traditionnelles, chapeau haut-de-forme et cigare, ne sont plus patrons de rien du tout, ce sont juste les employés de cette entité nébuleuse : les actionnaires (voir ce mot). Actionnaires eux-mêmes, leur plus grande ambition est d'en finir une fois pour toute avec leur rôle de patron (c'est chiant, il faut mener des vrais gens et des vraies machines et des vrais matériaux, pas seulement des indices ludions sur des écrans plats), donc de se faire virer pour incompétence avec un superbe cadeau bonux. (Non, je n'emploierai pas le terme "parachute doré" — y en a marre.)

LES ACTIONNAIRES
"Les actionnaires" est une nouvelle entité politico-économico-sociale en passe de remplacer "les patrons" — ceux qu'il fallait pendre. Les actionnaires sont impendables, c'est con.
(Corollaire : RÉACTIONNAIRE. Être réactionnaire, c'est juste réagir contre "les actionnaires".)
"Les actionnaires", donc, il y en a combien ? Des centaines ? des milliers ?? des millions ??? OUI, des millions ! Et pas, ou pas seulement, des étrangers parasites internationaux (pour ne pas dire "apatrides", selon la bonne vieille France vichyssoise), pas des aliens venus d'ailleurs, pas des "autres". NON :

NOUS.
Nous au sens le plus large, ici en France, en Europe, en Amérique, en Chine, au Brésil, à la Martinique ou en Islande, à Walis et Futuna, à St-Pierre et Miquelon… Nous, parce que, même sans être actionnaires au sens strict, nous avons tous notre argent en banque (plus exactement "les chiffres qui signifient notre argent", puisque "l'argent n'existe pas", paraît-il.)
Vous n'avez pas de portefeuille d'actions ? Moi non plus : j'ai résisté aux sollicitations de ma conseillère bancaire, charmante au demeurant, j'ai mis mon téléphone sur répondeur, bref : non. Je ne suis définitivement pas un homme d'actions. Mais j'ai un compte courant, un carnédchèk, une CB, et puis un ou deux machins genre PEL, compte sur livret : de la petite épargne, des économies qui me rapportent (un peu). Ce serait un Livret A ou un compte écureuil, ce serait pareil : pour que cet argent fasse des petits, il faut bien qu'il "travaille", qu'il soit "placé", c'est-à-dire prêté par ma banque à d'autres gens, particuliers ou entreprises, contre intérêts — une sorte de location de l'argent, donc — intérêts (loyer) dont ma banque me reverse une partie. Je suis donc moi-même un prêteur à intérêt, ce qu'on appelait autrefois un usurier, alors même que je ne spécule pas, que je ne joue pas en Bourse, que je ne suis pas actionnaire pour un sou. ("On" nous dit que les banques ne spéculent pas sur les dépôts de leurs clients mais seulement sur leurs fonds propres, mais je n'en crois rien… D'où sortiraient-ils, ces fonds propres ? C'est quoi, des fonds propres, pour une entreprise qui ne produit RIEN ?)

(à suivre)

1 commentaire:

bertrand a dit…

Bon, on avance... Personnellement, je vais bâcler un peu...

Plusieurs choses.

1/ Je n'ai toujours pas eu le temps de voir ce film. C'est terrible, je m'en doute. Bientôt.
2/ « on ne nous a jamais enseigné l'histoire de l'argent, du troc aux subprimes. » J'adhère et c'est bien dommage. Nous l'apprenons à nos dépends. Nous vivons dans un monde capitaliste, et comme nous devons connaître, autant qu'il est possible, les lois de notre pays (et les conventions internationales) il devient nécessaires de se former à l'économie. L'ignorance étant l'arme favorite de toute les oppressions. OUI ! J'emploie les grands mots mais je suis un peu énervé.
A cette attention, je conseille à tout le monde http://eco.rue89.com/ Comme tout, il faut le temps...

3/ Un peu dans le désordre : je suis heureux de lire le mot « usurier» dans ton article. Soyons jutes.

4/ Je suis fatigué de cette histoire d'économie « virtuelle. » c'est de l'intox (et puis ça rassure de dire que ces milliers de milliards n'existent pas vraiment). Cette rhétorique est utilisée à dessein pour désigner des coupables, comme tu soulignes la tendance.
D'un côté, les gentils capitalistes, genre patron d'usine qui reverse les bénéfices dans le salaire et charges des ouvriers et qui réinvestissent dans ladite usine; investissement dans l'outil de production. Le rêve.

De l'autre côté, les affreux qui font de l'argent avec de l'argent.

Alors moi, je propose que l'on se refasse le capitalisme du XIXe ou tout il était beau.

Si je te file un tableau et que tu me rends un sourire, on est dans le virtuel monétaire.

Et encore, quand je dis coupables, on sait bien qu'il s'agit de coupables de transition. Qu'on nous dit « C'est par là qu'il faut regarder »...

Je ne suis pas inspiré pour faire une chouette conclusion. Plus tard peut-être.