LO N°343 (23/12/09)
Je ne suis pas déçu par Copenhague (la petite sirène sait nager) parce que je n'en attendais pas grand chose, pas plus que du Grenelle des environs… Par ailleurs, je ne suis pas très Modem, ni très croyant dans la version "développement durable" de l'écologie, "l'économie verte", etc., mais………
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Planète : la société civile ne peut plus compter que sur elle-même, par Corinne Lepage
LE MONDE | 22.12.09 | Article paru dans l'édition du 23.12.09
« Tout d'abord, soyons clairs. C'est un échec sur toute la ligne et il n'y a même pas de quoi sauver la face. Il n'existe aucun accord puisque les 192 nations réunies à Copenhague n'ont fait que prendre acte d'un texte sans l'approuver. Il n'y a aucun accord puisqu'il n'y a aucun engagement. Aucun objectif précis dans la lutte contre le réchauffement climatique n'est fixé pour 2050, et a fortiori pour 2020. Et contrairement à ce qu'a annoncé le président Sarkozy, les trois annexes jointes au texte accepté par vingt nations ne seront pas remplies puisque aucun accord n'a été signé.
C'est un échec humiliant pour l'Europe puisque le président Obama, qui n'a pas été à la hauteur de son prix Nobel, a présenté ce pseudo-accord aux Européens après l'avoir négocié avec la Chine, l'Inde et le Brésil. Non seulement l'Europe s'est révélée incapable de parler d'une voix et d'avoir sa place, mais encore elle apparaît comme à la traîne, alors qu'elle est en réalité, parmi les pays industrialisés, la seule à avoir pour le moment réalisé des efforts concrets. Enfin, pour ceux qui, comme le président Sarkozy ou Gordon Brown, croyaient pouvoir endosser l'habit de sauveur de la planète, l'échec est encore plus retentissant.
Il est évident que tout ou presque est à recommencer. Personne - à commencer évidemment par tous écologistes sincères - ne doit se contenter de lancer des invectives et de désigner des responsables. Chacun doit repenser la stratégie pour ne pas laisser le champ libre aux fossoyeurs organisés de Copenhague et d'une partie au moins de l'humanité.
Eviter que ce fiasco se transforme en succès pour les climato-sceptiques, les pétroliers et autres lobbys - dont la cupidité, l'esprit de rentier, et pour certains le simple ego, (j'ajouterai la stupidité allègre) l'emportent sur tout, y compris leur simple intérêt d'être humain, responsable, ne serait-ce qu'à l'égard de leur propre famille - à l'instar du patronat d'un grand pays industrialisé fêtant au champagne au Bella Center, vendredi soir, l'échec de la convention ou du premier ministre du Canada qui se dit très heureux de l'échec ? La réponse est dans la révolte, le refus de toute résignation et l'action organisée des citoyens et consommateurs.
Eviter que les débuts d'une économie verte, qui pourrait jouer un rôle majeur dans la transformation du monde, même si ce n'est pas la solution unique, ne se fracassent devant une incertitude des politiques publiques à venir ? La réponse est dans la responsabilité sociale des entreprises, le développement de la consommation responsable et les nouveaux comportements qui encourageront les entreprises dans cette voie.
Eviter que les engagements financiers à l'égard des pays en développement, à commencer par l'Afrique et l'Alliance des petits Etats insulaires (Aosis), même s'ils n'ont pas été formalisés dans un accord, soient oubliés, à commencer par l'Europe qui a besoin de redorer son blason. La réponse est dans le changement d'attitude à l'égard de l'Afrique, en particulier, pour rétablir la confiance en tenant à la virgule les promesses faites et en assurant réellement les transferts de technologie et la réalisation d'opérations concrètes.
Il est désormais clair qu'il n'est plus possible de faire confiance aux politiques, devenus des hommes d'affaires et non des responsables politiques, pour reprendre l'expression du président brésilien Lula, pour résoudre les problèmes du monde. Le court terme et les visions géostratégiques l'emportent sur le fondamental : notre survie.
Il restera de l'année 2009 que les dirigeants du monde ont été capables de sauver les banques et de leur allouer des milliers de milliards de dollars sans contrepartie, mais ont été incapables de mobiliser quelques dizaines de milliards de dollars pour éviter la disparition de zones entières, l'exode de millions de personnes, l'accroissement de la famine et de la pauvreté de millions d'autres ou les conséquences humaines des phénomènes extrêmes. Et même, puisqu'ils semblerait que cela soit la seule donnée qui compte, la perte de centaines de milliards de dollars, puisque c'est le coût du réchauffement, réévalué récemment par Lord Stern.
Il faut donc changer de gouvernance et le gouverneur Schwarzenegger l'a clairement exprimé. Ce n'est pas dans les couloirs de Washington, a-t-il affirmé, mais dans les grands mouvements sociaux, citant le mouvement des femmes ou de la résistance à la guerre du Vietnam, que se font les grands changements. Au fiasco de Copenhague, il faut opposer les réalisations présentées par les villes et régions, dans toutes les régions du monde qui, elles, changent le monde concrètement. (Voir plus loin : "La Transition".) Les technologies existent. Restent à trouver les financements en particulier dans le Sud.
La société civile ne peut désormais plus compter que sur elle-même pour assurer son avenir, et c'est cette gouvernance qu'il convient d'organiser. Notre qualité de consommateur doit être utilisée pour choisir en fonction de nos objectifs généraux. Et si la Chine décide de refuser des efforts et exporte son carbone en considérant qu'il doit être mis à notre débit, la réponse est simple : refusons ses produits et achetons-en d'autres fabriqués à proximité ou issus du commerce équitable. Ce que les politiques occidentaux n'ont pas été capables de faire, les consommateurs, s'ils le décidaient réellement, pourraient le faire.
De même, décidons d'encourager les entreprises socialement et environnementalement responsables en favorisant leurs produits au détriment des autres. Un mouvement de grande ampleur en ce sens est indispensable, et il ne pourra se faire qu'avec une alliance entre les grandes associations de consommateurs, les ONG oeuvrant pour le développement et celles qui agissent pour le climat. Il est indispensable que le monde de l'écologie au niveau national comme au niveau international fasse sa mue pour sortir de l'activisme qui lui est parfois reproché et devienne un véritable acteur.
Cela ne suffira évidemment pas. Face à des politiques obsédés par leur pouvoir national et refusant toute supranationalité qui, seule, pourrait permettre un droit international de l'environnement et des organes de contrôle et de sanctions, y compris juridictionnels, la société civile doit impérativement trouver la parade. Un certain nombre d'acteurs politiques le souhaitent, et le désespoir à Copenhague des représentants des petites îles ou du président du Tchad pleurant sur la disparition du lac Tchad si la température montait de 1 degré en témoigne.
Mais surtout, nous devons impérativement rétablir la confiance avec le Sud, ce qui implique de restaurer notre crédibilité. La facture de Copenhague vient payer les promesses non tenues de l'aide publique au développement, les choix de la Banque mondiale d'ordre plus politique que climatique, la toute-puissance des lobbys économiques et pétroliers qui ne veulent pas perdre leur rente pétrolière et ont su investir là où il fallait avec un cynisme parfait.
C'est à tous ceux qui veulent, ensemble, mûrir pour trouver, pour la première fois au monde, une solution universelle, de trouver de nouvelles voies de travail en commun. Cela impliquera de dépasser la colère et l'amertume, d'accepter de se remettre en cause, y compris pour les défenseurs du climat, et de trouver les voies nouvelles de la gouvernance du XXIe siècle. »
Corinne Lepage est vice-présidente du MoDem, présidente de CAP21 et eurodéputée.
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Elle ne parle pas de "décroissance", terme qui en défrise plus d'un "Ah ! Au s'cours ! La décroissance ! C'est le diâââble !" Mais bon, si ça fait peur, on peut préférer le mouvement de "transition", encore peu connu, apparemment…
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Plus philo :
Michel Serres, dans Le Monde de lundi 21 12 09
« Ce que montre avant tout le sommet de Copenhague, c'est que les limites du politique, au sens traditionnel du mot, sont aujourd'hui atteintes à un point sans précédent dans l'histoire.
(…) Cette absente, qui n'a encore jamais siégé dans aucun Parlement, je l'appelle la "Biogée", pour dire en un seul mot la vie et la Terre. C'est un pays dont nous sommes tous issus. »
En effet, si vous en avez marre d'entendre "la Terre" ou "la Planète", ou "la Nature", si "l'hypothèse Gaïa" vous fout des boutons, il reste ça : la BIOGÉE. Moi, j'aime bien. Mais je suis fan de Michel Serres…
« Il y a un tableau de Goya, Duel à coups de gourdin, qui l'explique très bien. On y voit deux hommes se battre avec des bâtons. De ce jeu à deux, qui va sortir gagnant ? Quand Hegel met aux prises le maître et l'esclave, il donne le résultat de leur lutte (l'esclave devenant le maître du maître), mais il oublie de dire où se déroule la scène. Goya, qui est peintre, ne peut pas se permettre cet oubli, et il situe cette bagarre... dans les sables mouvants. A mesure que les deux hommes se tapent dessus, ils s'enfoncent ! Et voilà pourquoi le jeu à trois, aujourd'hui, devient indispensable. »
Il en parlait depuis longtemps : son livre "Le Contrat naturel" date de 1991 !
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Paru dans Siné Hebdo N°67
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