samedi 19 mai 2012

Détritus


LO N°481 (19 mai 2012)
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D'abord quelques mots qui prolongent encore les 479 et 479 bis.
D'un côté Mona Chollet (LO 479) soulignait la montée d'un moralisme expiatoire (pour les autres) exprimé par les dirigeants européens suite à la crise financière : appel à la contrition, à l'austérité, à la discipline. Après la dette, la diète !
Dans la LO 479 bis un des lecteur du Monde Diplo que je citais appliquait aussi ce moralisme à la démarche écolo, le jugeant indispensable à la survie de l'espèce.
Dans un article intitulé "La diète et le désir" (dans l'hebdomadaire éphémère "Une semaine avant l'élection"), Philippe Garnier évoque le fait de trier ses déchets comme une pénitence. « Il y a quelque chose de déprimant à trier ses déchets. » Il semble lui aussi voir un moralisme dans la démarche écolo, une austérité imposée. Mais lui pour le déplorer. (Non de manière irresponsable, quand même, plutôt dépressive, comme résignée…) Il exprime à travers ça une voix du "on", l'expression d'un désir frustré sans doute présent en nous tous, qui braille : « Non ! s'il vous plait monsieur le bourreauécolo, laissez-moi encore jouir de mon irresponsabilité, consommer et jeter sans m'en faire… encore un jour, un mois, un an… » ? Il ajoute « Désormais la guerre consiste à regarder ses détritus en face. » Et la guerre, c'est pas marrant.
Mais des fois c'est nécessaire.
La consommation, c'est un peu le stade oral (infantile) de la société. La préoccupation des ordures (et donc le recyclage) serait alors le passage au stade anal (infantile aussi). Du stade oral (consommation) au stade anal (consumation)… succession cohérente, en langage freudien. Mais voilà : la préoccupation du tri et du recyclage n'est déjà plus le stade (infantile) anal, car il ne s'agit pas de l'analité en tant que destruction (et le plaisir qui peut aller avec), ou d'un intérêt infantile porté à ses fesses et à ses fèces comme "production". Il s'agit de s'intéresser à l'ordure, certes, regarder ses détritus en face, oui, mais pour recycler, c'est-à-dire remettre dans le circuit ce qui a été consommé (la part qui n'a pas été consumée). Consommez, consommez, il en restera toujours quelque chose… Et ce quelque chose peut être re-consommé, mérite d'être re-consommé. Rien ne se perd, rien ne se crée. (Il ne s'agit pas de remanger sa merde telle quelle, bien sûr. Les cosmonautes filtrent leur pisse avant d'en re-consommer l'eau sauvée.)
(Aujourd'hui, seulement 11% des deux milliards de tonnes de déchets ménagers solides que l'humanité "produit" chaque année est recyclé dans la production d'énergie ou de chauffage.)
Le stade anal est, comme son nom l'indique, celui de l'analyse. Et donc peut-être que le stade du recyclage est celui de la synthèse, ou re-création, et, partant, un état plus adulte et créatif de la société humaine. Trier et recycler n'est pas un pensum, pas plus que s'instruire à l'école ou faire un potager.
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SERREZ-VOUS LA CEINTUR€ (les uns les autres).
Quand on dit d'un riche qui dépense pour des conneries (yacht, ferrari…) « ses sous, il les a gagnés, il en fait ce qu'il veut » ou « c'est son argent, il en fait ce qu'il veut… »… NON.
Non, parce que
1) L'argent n'est à personne. C'est juste l'invention humaine pratique d'un plus petit commun dénominateur entre des éléments incomparables comme dix kilos de pommes de terre et un cours de maths, un outil symbolique facilitant, accélérant, mutualisant les échanges, jusque là limités au troc d'objets. Ah ! si on comprenait que l'argent n'est rien, que du signe !
2) Ensuite, comment il l'a gagné, son argent, un Bouyghes, ou un Sarko, ou n'importe quel banquier ou trader ? Juste en prélevant au passage (en prédatant) un % sur la circulation du dit argent-symbole, sur les échanges, même pas comme un seigneur féodal prélève sa dîme sur la production agricole de ses serfs, production qui est "quelque chose", du blé, des moutons… mais sur… rien, seulement sur le fait que de l'argent change de mains… et même plutôt sur le fait que des nombres changent de domicile d'un ordinateur à un autre. Et avec ça, il se paye un yacht ou une ferrari…
L'argent n'est plus l'argent, mais "une puissance". Terme que l'on peut garder dans son abstraction ou mythologiser : une Puissance, comme on le dit de Dieu ou du Diable. (Il y aurait, pour aller plus loin, toute une analyse à faire sur l'argent en tant que mythe et magie… J'y viendrai.)
Échappant à tout contrôle, l'argent est comme ces lapins que l'on a lâchés en Australie il y a un siècle ½ : ils étaient prolifiques (comme des lapins) et ils n'avaient pas de prédateurs, ils ont tout envahi et tout ravagé. (24 lapins furent introduits en Australie en 1874. À peine un demi-siècle plus tard, la population s'élevait à 30 millions d'individus et menaçait l'agriculture et l'équilibre écologique local. Après l'introduction de la myxomatose, on en est arrivé, en 1995, à introduire un virus ravageur : Le Rabbit Haemorrhagic Disease Virus (RHDV) pour rééquilibrer leur population. Wikipedia.)
L'argent (non plus or ni papier-monnaie, seulement chiffres) n'a pas de prédateurs, ni de myxomatose ni de virus. Ceux qui s'en emparent ne le détruisent pas, ils contribuent à le faire proliférer sur le dos des producteurs réels (travailleurs, prolétariat. appelez ça comme vous voilez). Et quand un accident conjoncturel "détruit de l'argent", dit-on, rien n'est réellement détruit, puisque rien n'était réel.
Du symbolique, on est passé à l'abstrait. Dématérialisé. Après l'or, l'argent-papier lui-même est apparu comme trop concret, trop lourd, trop réaliste, trop matériel. Même les chèques, les banques voudraient bien s'en passer : trop coûteux ! L'argent, comme un mythe obsolète, comme les 78 T, les vinyles, les livres bientôt, disparaît au bénéfice de nombres computés, des zéro et des un. Partant il ne peut plus y avoir d'avare ni de flambeur, plus de peseur d'or, de cassettes et de liasses grasses… que des cartes à puce et bientôt des puces implantées sous notre peau… Invisibles… (D'où peut-être le succès du poker ou des machines à sous, où l'argent retrouve une théâtralité.)
Faut-il le déplorer…? Dans le principe, peut-être pas… Dans les conséquences de cette disparition, par contre… quand on voit (ou plutôt ne voit pas parce que il n'y a rien à voir) les chiffres s'échanger à la vitesse de la lumière dans les fibres optiques par des costard/cravate greffés sur des écrans… et l'irresponsabilité que ça suppose et que ça induit… Je comparerais cela volontiers au meurtre par arme à feu par rapport au combat à mains nues : c'est tellement facile de presser une détente, à distance… comme de pousser la touche "entrée" de son clavier…
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LES DEUX FACES DU CAPITALISME
(ou : L'actionnaire est plus dangereux que le réactionnaire.)
Le capitalisme classique serait conservateur (la droite paterne austère, moraliste, protestante – on y revient).
Mais le capitalisme moderne (financiarisme, libéralisme économique) est tout sauf conservateur. Ou alors il conserve (ou fait ressurgir) les instincts les plus archaïques : le jouir sans entraves de tout et de tous… "libertarisme" ou "anarchisme de droite". Il promeut un modèle de société cool, séducteur ; il exalte le plaisir immédiat, l'irresponsabilité, l'égocentrisme, un hédonisme de captation sans scrupules, le cynisme. (On parle de "droite décomplexée", ce qui suppose que la droite classique est complexée… que le capitalisme classique est un complexe…)
Le capitalisme libéraliste, loin d'être conservateur, est typiquement destructeur.
Pour lui, tant les conservateurs rigides (loi et ordre, religion, moralisme) que la gauche collectiviste (exigeant de l'individu, au nom de la collectivité, de la retenue dans ses désirs) sont des ennemis, vus tous deux comme "réactionnaires" ou ringards. Le libéralisme, consommateur et consumateur, naît de la pègre, du système maffieux, plutôt que de la "droite conservatrice". Certes, il y prend encore, parce que son système privilégiant les riches a besoin d'un système de sécurité fort qui le protège des pauvres. Il a encore besoin de la droite réac et de l'État, mais il ne les sert pas, il les exploite, les met à son service.
En ce sens, il ne faut pas se tromper de combat : la droite réac, le capitalisme classique, l'État, ce n'est pas le plus grave.
On en vient même à réclamer de l'État pour nous protéger du chaos financiariste, réclamer que l'État reprenne la main, retrouve une puissance protectrice. Et quand on est  une sorte d'anartardé, de libertaire antiautoritaire qui a toujours considéré l'État, avec sa police, sa justice, ses impôts, ses fonctionnaires, comme l'ennemi à abattre… on se sent un peu perdu.
Pourtant…
Par exemple, c'est une vieille manie française de se plaindre et se moquer des fonctionnaires… petit travail tranquille… privilégiés… fainéant… vacances et retraite… salaire garanti… (… tout en aspirant à être fonctionnaire : si on les moque ou si on s'en plaint, c'est qu'on les envie.) Et puis arrive le libéralisme à tout crin et les privatisations qui nous privent des services publics et on crie « Rendez-nous nos fonctionnaires ! » (hôpital, poste, éducation nationale, téléphone, etc.)
Et on a bien raison.
Cesse de courir, camarade, et "regarde tes détritus en face".
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1 commentaire:

Cédric a dit…

Sur la nature inclassable - ni à droite ni à gauche - du capitalisme (ou de ce qu'il est devenu), il faut lire Jean Claude Michéa qui en parle très bien. On peut aussi penser que ce capitalisme sans limite hérite des valeurs d'une gauche révolutionnaire ou libertaire, qui érige le changement, le tabula-rasa en un genre de dogme. En gros le monde est à refaire et à défaire constamment, au grès des modes et des implusions. Alors il y aurait une opposition entre cette gauche qui prône l'aventure (quels qu'en soient les effets) et une gauche de protection sociale et écologique.