L'immeuble d'acier
se signalait par une simple plaque de marbre où était gravé : "B
& B & O", sous-titré discrètement : "Banque
en Bande Organisée".
Je pénétrai sans
coup férir dans un hall long comme ça. Le capitalisme, là, montrait son visage
le plus bestial. Alignés comme des caissières-enregistreuses de supermarché,
des milliers de traders semblaient chercher l'arche perdue, cliquetant, l'œil
vitreux sur l'écran, indifférents aux contentieux des comptes en Suisse. Des
fonds de pension, défoncés, nageaient dans la moquette, à la limite de la
noyade. Des infos et des slogans stimulants s'affichaient sur un
prompteur : ••• La bouse de
Wall-Street est en hausse ••• Action
Directe déclare : Une bonne action, c'est une action qui rapporte 15% •••
Les seules valeurs sont les valeurs en Bourse ••• Le vrai pouvoir est le
pouvoir d'achat ••• N'ayez pas peur, le système est sous garantie
••• N'hésitez pas à marcher sur la tête (des autres) ••• La Corée du Nord entre dans la liste des paradis
fiscaux •••
J'enfilai ma
cartapuce dans la fente de la machine murale comme on pointe aux assedic. Je
cliquai le code magique. Miracle ! le mur répondit en faisant ressortir par un
autre fente une poignée de billets à l'aspect douteux : argent sale ? Je
les compostai aussitôt, au moins ça ferait de l'engrais.
J'avisai un parasite
quelconque et lui posai la question qui me taraudait depuis longtemps :
« Y
a-t-il vraiment une différence entre "la monnaie" et "la fausse
monnaie" ? »
— On n'y est pour rien, Monsieur. On ne fait que notre
travail.
— Avec ce genre de réplique, mon vieux, vous perdez le droit
de parler à un être humain. »
Au 36ème dessous, je montai les étages à la
recherche du Grand Patron. Assis tout
nu dans son paradis fécal, velu comme un loup-garou, Zorro le fier banquier
masqué bandait mou. Complaisant, en quelques phrases, il m'expliqua la
situation :
« La monnaie
n'existe pas. La monnaie est un signe dépourvu de sens. Les anonymous, c'est nous. Nous sommes le
couronnement de la civilisation. La main invisible du marché c'est toujours la
nôtre. C'est la peur qui commande. La
finance est un trou noir où se perdent les richesses. Les prêteurs sont
des prédateurs. Le capitalisme est un cannibalisme. Tu ne peux pas compter sur
sa capitulation, il faudra décapiter… » Il fit une pause. « Tu en veux encore ? »
J'avoue que j'en
avais un peu marre. Je sortis mon .42 et lui balançai douze bastos entre la
poire et le fromage. Il rit.
« Des balles
d'argent ?! Tu n'as pas compris… On s'en
nourrit. »
(PARU DANS PSIKOPAT 258)
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