dimanche 6 juillet 2014

Faux semblant ?


Petit prolongement de la page du 24 juin, à propos de la persona, le masque, l'habit qui fait ou non le moi(ne).
Cette idée sur laquelle j'insiste de l'absence d'un Moi autre qu'illusion, ça entre dans le cadre  de l'absurde camusien. Mais cette illusion ressentie est aussi une illusion fabriquée pour et par les autres.
Clément Rosset : « L'identité personnelle, ou privée, est une rêverie, un fantasme, un fantôme, une hantise. » ("Loin de moi". Ed. Minuit) Il n'y a qu'une identité sociale, elle est consignée dans l'état civil. Le domaine privé ? Il est quand même régi par des lois sociales. « Vous ne changez pas d'identité en passant de la chambre à la rue. »
Pourtant si… Déjà, si vous êtes Superman, vous avez une "identité secrète", sinon, de toute façon, vous changez de facette, de façade, de masque, et vous n'êtes pas plus (et pas moins) vous dans l'intimité de la chambre ou des chiottes, quand vous baisez ou quand vous pétez, que quand vous achetez un pain à la boulangerie ou buvez une bière avec des amis ou saluez votre patron. Dans tous les cas, c'est vous.
Non, vous ne changez pas d'identité d'état civil, d'accord, mais vous jouez telle ou telle de vos facettes, tel ou tel de vos rôles. « Comme nous n'avons pas d'identité privée, on peut se modeler selon son humeur, sans risque d'apparaitre comme quelqu'un d'autre puisque nous ne sommes rien de stable. On peut décider d'aller faire le clown à la télévision ou, comme Deleuze, de ne jamais s'y montrer. Ces décisions relèvent du gout de chacun et ne changent en rien notre identité personnelle qui de toute façon n'existe pas. » Si le Moi n'existe pas, tout est permis…
Rien de plus révélateur que le choix d'un masque.
Ce moi absent, indescriptible, jamais fait, toujours en train de se composer, cette illusion indispensable, serait-il, puisque nous nous le fabriquons, une pure persona, un masque, des masques, des rôles sociaux auxquels cependant nous croirions, pris à notre propre jeu (d'acteur) ?
Camus nous répond OUI, et que ce n'est pas grave : « Un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères. »
«  … il n'y a pas de frontière entre ce qu'un homme veut être et ce qu'il est. À quel point le paraitre fait l'être, c'est ce qu'il démontre, toujours occupé de mieux figurer. »
« Si j'essaie de saisir ce moi dont je m'assure, si j'essaie de le définir et de le résumer, il n'est plus qu'une eau qui coule entre mes doigts. Je puis dessiner un à un tous les visages qu'il sait prendre, tous ceux aussi qu'on lui a donnés, cette éducation, cette origine, cette ardeur ou ces silences, cette grandeur ou cette bassesse. Mais on n'additionne pas des visages. Ce cœur même qui est le mien me restera à jamais indéfinissable. Entre la certitude que j'ai de mon existence et le contenu que j'essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. »
Voilà qui dit bien : le Moi n'est pas une chose, une substance, un contenu. Il est seulement la certitude subjective que j'ai d'exister. Le Moi, c'est la conscience du Moi. La présence à soi. Sentiment subjectif, interne, intuitif, auquel s'ajoute ce que les autres me renvoient : le retour du miroir, déformant parfois, informant toujours. Je crois à leur existence et ils me le rendent bien : ils confirment la mienne. 


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