samedi 5 juillet 2014

IPSE


La question "QUE suis-je ?" reçoit une réponse biologique, physique, vitale : au plus général "un humain" (parmi d'autres, semblables, mêmes, idems), c'est-à-dire un mammifère de la classe des primates, bipède, doué de la parole, etc. (Ce qu'on peut donc appeler nature humaine, ou essence, malgré Sartre, mais "essence en partage", "nature humaine en partage".) Une charge pré-individuelle qui inclut un pouvoir d'individuation (l'autoréalisation) en activité permanente.
La question "QUI suis-je", c'est-à-dire l'individualisation (qui se fait en se différenciant : l'émancipation individuelle), reçoit d'abord une réponse sociale, institutionnelle : "nom, prénom, âge et qualité ?"… l'identité définie par ma carte d'identité, nationalité, date et lieu de naissance, parents, photo moche… Incluons-y aussi la profession. (Mais la carte n'est pas le territoire, comme le mot n'est pas la chose.)
On devra y adjoindre le corps : l'aspect physique, physiologique, le vital personnel : un carnet de santé, un bilan médical récent, des radiographies, des photos, des vidéos, un enregistrement vocal, ECG, EEG, gouts, régime alimentaire, mœurs sexuelles…
Pour obtenir une réponse plus profonde, psychique et psycho-sociale, il faut entrer dans du plus complexe. Ça pourrait être composé d'une batterie de tests de personnalité (caractère) et/ou, puisqu'il ne faut jamais oublier l'élément temps et, là aussi, un processus en activité permanente, elle serait faite aussi du récit de toute ma vie, avec éducation (dont religion), études, vie professionnelle, loisirs, gouts, amours vécues, circonstances de la vie (incidents et accidents, heureux ou malheureux, aléas, hasards que l'on nomme suivant les cas chance ou malchance). Et donc bien sûr tous les processus sociaux, le rapport aux autres (l'interindividuel), jusqu'au domaine politique.
On voit bien que dans les paragraphes ci-dessus il s'agit toujours d'analyses descriptives qui se veulent objectives (c'est-à-dire qui font du sujet un objet), c'est-à-dire de découpages, de décompositions selon divers points-de-vue, comme dans la science avec ses ciseaux et ses petites boites à échantillon. (L'ensemble, aussi détaillé soit-il, ne pourrait servir qu'à fabriquer un robot-clone, un simulacre dickien, un peu comme le personnage du grand-père dans Real Humans – soit l'horreur… et en tout cas pas un "MOI", la personne unique.)
En réalité tout cela est imbriqué, interdépendant : mon état physique est autant lié à ma biologie de base qu'à l'histoire de ma vie, mon âge, ma profession (qui me garde assis la plupart du temps…) Ma facette psychologique est liée aussi à l'état de mes viscères comme à l'éducation donnée par mes parents, à mes opinions politiques acquises, à l'état présent de mes gonades, aux aléas de ma vie, à mes projets… etc.
Et tout cela s'inscrit dans une histoire, une identité narrative. Ma vie est un peu comme un roman en train de s'écrire : les pages déjà écrites sont le passé, la mémoire, les pages à venir sont le futur, le projet (qui n'est qu'un possible : part d'intentions plus ou moins claires et part d'aléas imprévisibles.) Le présent est la pointe de la bille sur le papier ou la pulpe du doigt sur la touche du clavier.
(Objet / Sujet / Projet : une autre manière de lire l'inscription dans le temps. On peut voir le passé comme objet, puisque accompli, fixé, établi, ne changeant plus que de l'usure-oubli… le présent comme sujet – le moment même de l'acte… qui produit sans cesse le futur – le projet – terme moyennement satisfaisant puisqu'il implique généralement une volonté consciente, alors qu'on ne peut exclure de l'avenir "ce qui va arriver", ce qui survient, les aléas…)

Finalement, tous ces éléments convergent et se conjuguent ou se composent dans ce que la philosophie nomme l'ipséité : "identité propre ; ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre. Ce qui fait qu'un être est lui-même et non pas autre chose… le maintien de Soi." (Ipséité fait opposition à altérité : le fait d'être autre.)
Ce qui s'exprime par l'expression auto-référente "moi-même" (ipse), ou la tautologie quasi-solipsiste : "je suis moi", ou encore Je = Moi. Bien sûr, « dire d'une chose qu'elle est identique à elle-même c'est ne rien dire du tout », une sorte de "réduction à zéro"… et c'est néanmoins logique. (Wittgenstein)
L'unité de SOI existerait bien, serait irréductible, ni démontable ni démontrable, mais n'aurait rien d'absolu. Elle serait "effet de conscience", intime, subjective, complexe, narrative, évolutive, incluse dans le temps tout en se vivant comme permanente, incluse dans la contingence générale, dont le miroir des autres, tout en se vivant comme ancrée, point-de-vue privilégié, unique.
Non un "noyau" originel mais une composition.
(Composition florale, même, si on veut, avec graines, tiges, feuilles, fleurs et fruits et donc noyaux, pépins, amandes, graines…)


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