vendredi 5 décembre 2014

CECI N'EST PAS DE LA SF (4ème ÉPISODE) - VIN, TISSUS, CUIR, DIAMANT


"Rêver 2074 / Une utopie du luxe français / par le Comité Colbert" (et quelques écrivains et écrivaines…).
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Nouvelle N°2) OLIVIER PAQUET - "LA REINE D'AMBRE"
D'abord il y a une vieille femme, encore, Noriko Higushi, une sorte d'artiste, encore, œnologue, qui, elle aussi, a perdu un sens, une qualité essentielle à son art : l'odorat. (Le pourquoi de ces convergences scénaristiques entre Xavier Mauvéjean, Olivier Paquet, et plus loin Jean-Claude Dunyach, ne laisse pas de m'étonner, comme il a étonné l'auteur du premier post Facebook que j'ai lu sur le thème de ce recueil. Le travail sur l'intertextuel aurait-il entrainé des effets mimétiques…?) (Et ces pertes d'un sens répétées sont-elles des signes d'une perte générale DU sens ?) (C'est peut-être aussi que le thème imposé, le luxe, est vide de sens…)
Pourtant, cette nouvelle me semble présenter un avantage : a priori, elle joue vraiment le jeu, elle traite vraiment le sujet (la production de luxe) autrement que par des éléments de décor ou placements de produits. (Ne suis-je pas dans le paradoxe provocateur, là, en appréciant l'auteur qui joue le plus honnêtement le jeu de l'ennemi…? Ou peut-être est-ce que j'apprécie la cohérence… et que je m'offusque, malgré Baudelaire, qu'on puisse confondre ordre et beauté, luxe, calme et volupté.)
In vino veritas
L'enjeu est bel et bien un objet de luxe : un vin de Bordeaux très haut de gamme (un Château Yquem ?). (Et ça, ça me serait plutôt sympathique ! Une "cause" plus légitime que les parfums L…N ou les sacs V…N !) Il est typique que, dans cette nouvelle, le lecteur ne bute pas constamment sur ces "placements de produits" gratuits, parasitaires, disposés régulièrement pour plaire aux commanditaires, et qui font grincer aux entournures les autres textes. Ici, il n'y en a pas besoin puisqu'on est clairement dans le sujet. Du coup, cette nouvelle pourrait se lire dans n'importe quel cadre éditorial. Après tout ce ne serait pas la première histoire de SF située "chez les riches" et travaillant la problématique de la richesse. En respectant honnêtement la contrainte, ce texte s'en émancipe.
Mais l'essentiel se trouve dans le drame humain de cette perte d'odorat et dans l'idée proprement techno-SF qu'une intelligence artificielle (une aya dans un robot) puisse devenir à son tour œnologue et maitre de chais.
A touch of Zen
Après, y a-t-il subversion du thème "luxe" ? Peut-être, oui, dans la personnalité de la dame qui, malgré le "commercial" qui est censé la remplacer, le jeune directeur financier émissaire des actionnaires, gardera la maitrise de son art et de son chais, via le robot-aya en question (qui ne serait qu'un système expert, me dit-on, mais je n'y connais rien…) et via un langage poétique japonisant qu'elle est seule à maitriser. Disons quelle impose un luxe d'un autre niveau que celui du fric : l'expérience individuelle, la fine connaissance et la fine technologie, la qualité poétique, un art.
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3) SAMANTHA BAILLY - "FACETTES"
Cette fois aussi, on est dans le thème. L'enjeu est bel et bien à l'intérieur d'une maison de luxe, c'est une création qui est en jeu.
Lune Guénon est la première neuroscientifique à être devenue créatrice de mode. Elle a inventé l'émotissu qui affiche les émotions de qui le porte. Elle est vieillissante (tiens ! encore une !) et elle n'a plus l'inspiration (tiens ! encore une ! Perte de sens, encore ¿). C'est aussi que les vêtements de sa création, une fois portés par des clients, vivent leur vie, ou plutôt celle des gens qui les portent, et donc sa création lui échappe, ne lui appartient plus. Le thème du contact intime d'humain à humain revient, passant par les neurones miroirs, sources de l'empathie, expression des émotions – qui se retrouvent maintenant codées "objectivement" par l'émotissu – conjugaison de compréhension et beauté. Une utopie de la transparence, de l'intimité partagée.
Mais elle pense que, pour retrouver la créativité, elle a quelque chose à retrouver dans des qualités passées. Visitant une maison de couture traditionnelle, elle retrouve des émotions pures devant les matières naturelles (fourrure, soie… les Végans vont hurler) et le raffinement du savoir-faire traditionnel. Et voilà qu'elle invente l'artextile qui est noventique = réconciliation de l'avant-garde et du patrimoine… des vêtements réversibles : on peut choisir le côté qui expose ses émotions ou celui qui les cache. Euh………
Tout ça, et je suis gentil, me semble sans intérêt.
Pourtant le blog de Lam Rona, "Non, pas le bouton rouge" va y déceler une subversion étonnante ! Bravo à lui, allez-y voir, je ne dis rien…
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4) ROQUE RIVAS - "MIRAGE D'UN AVENIR" est une nouvelle sonore, de la musique "concrète" peut-être, je n'en sais pas plus, n'ayant téléchargé que le PDF…
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5) JEAN-CLAUDE DUNYACH - "NOCES DE DIAMANT"
(Jean-Claude Dunyach est par ailleurs coordinateur de l'ensemble des textes.)
Nouvelle assez simple qui, au prix du nettoyage de quelques lignes "de complaisance", tiendrait très bien debout toute seule (je veux dire dans n'importe quel autre cadre). En effet, on est devant une histoire humaine plutôt poétique, une fable visant à l'amour universel. En réalité, l'industrie du luxe n'est pas du tout la condition ou l'enjeu, à part que le récit nécessite un joailler pour tailler un diamant – et le fait qu'il exerce place Vendôme est logique et ne me gène en rien.
Il s'agit, à la base, de la découverte d'un diamant venu de l'espace (via la chute de la météorite de la Tunguska en 1908), diamant qu'il faut bien qualifier de "magique", puisque, par contact avec un verre en cristal, il crée une résonance, une vibration qui exalte les sentiments d'amour et lui permet de séduire la femme de sa vie. (Quelque chose comme le philtre d'amour de Tristan et Iseult.)
Le personnage est âgé, encore un, se surnomme Janus, celui qui regarde à la fois le passé et le futur. Le passé : il l'a perdue, sa femme. Le futur : une expédition spatiale, à laquelle participera son fils, serait susceptible de ramener un astéroïde entier fait de cette substance cristalline, ce diamant nébulaire, dont la vibration pourrait changer le monde humain. (Comme le monolithe de 2001, mais en mieux : le monolithe enclenchait une évolution vers l'intelligence chez les hominidés, évolution qui se manifestait d'emblée par l'utilisation d'un os pour casser la tête de son voisin… passons.)
Fiat lux-e
Le miracle ne nait pas de l'art du joailler ni du fric de la clientèle, le miracle, c'est le diamant extraterrestre. Ce monolithe diamant, dument partagé entre les humains, les ferait "vibrer à l'unisson". Faut-il y voir, encore, une sorte de mysticisme du luxe ? (Cf le néologisme "proximondial"… mondialisation = amour universel ?!) Un "cristal qui songe"…? Moebiusien…? Christique…? Hum… (Gardons en tête que toute mystique est une mystification…)
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6) ANNE FAKHOURI - "UN COIN DE SON ESPRIT"
D'emblée nous voici encore en compagnie d'une vielle dame, Enid Shon – décidément c'est une manie. (Était-ce inclus dans le cahier des charges du Comité ?!) De nouveau on est dans une maison de création, "Savage", on est donc "dans le sujet", cette fois. Il est question de sacs et d'un cuir synthétique (les Végans vont adorer !) "monoforme", malléable, moulable ou soufflable, comme on travaille le verre, et donc permettant une fabrication sans couture. N'empêche que paradoxalement, pour faire chic, on est tenté d'y ajouter des surpiqures… (Ha-ha.)
Un personnage nommé Zadig a réussi à donner à ce cuir l'odeur du cuir authentique mais l'odeur s'efface rapidement. Il va voir une autre vieille femme, Alx, l'artisane merveilleuse en fin de vie, stagnant dans le coma. C'est elle qui lui a fait découvrir le moyen d'imprégner le cuir de son parfum, via de la cire d'abeille, mais il ne sait comment le fixer. Il a avec elle un contact intime quasi télépathique. Ils inventent un moyen d'imprégner le cuir non seulement d'un parfum qui reste fixé, mais d'un parfum contenant les souvenirs du possesseur du sac… (Du moins si j'ai bien compris, car si un critique a qualifié la nouvelle de Joëlle Wintrebert de "foutraque", que dire ce celle-ci ?!… Je passe mon tour. J'avoue que je ne vois pas bien qu'en tirer, ni en bien ni en mal… à part une certaine maladresse ou confusion globale… Sans compter que l'enjeu dramatique… donner l'odeur du cuir naturel à un "cuir" synthétique… euh… n'est-ce pas dérisoire ? pour ne pas dire ridicule…)
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(à suivre, avec la nouvelle de Joëlle Wintrebert.)

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