dimanche 24 janvier 2016

EN VRAC, la suite…


LE 13 novembre. C'était un vendredi 13 + journée de la gentillesse + Saint Brice (c'est qui celui-là ?) + la veille de mon anniversaire ! Merci du cadeau !…
Je ne m'en remettrai jamais. J'ai mal à la France, j'ai mal au monde. Ça sonne grandiloquent, mais c'est vraiment ça. Et ces cons-là, non, définitivement, je ne leur permets pas de faire ça.
En vrac j'étais / je suis encore, au point que dans les jours suivant les attentats Bataclan j'ai effacé accidentellement tout ce que j'avais déjà recueilli ou écrit depuis dessus… J'ai donc redémarré ici depuis quelques jours de zéro ou presque, en vrac, des notes et réflexions post-13-novembre, souvent des réactions à ce que j'entends ou lis, presse, médias… J'essaie vaguement d'y mettre de l'ordre, mais il y aura autant de trous que de répétitions… Sans omettre les commentaires de lecteurs qui, même s'ils me semblent infondés, m'obligent à préciser ma pensée.
• Jeanne Favret-Saada, anthropologue : « Pour une pensée juste, il est important de partir de là : se reconnaitre "affecté", se savoir touché, comme préalable à toute prise de position. » Ceci était dit au cours d'une conversation publique (Cité-philo) avec Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, les auteurs de "Prendre dates – Paris 6 janvier – 14 janvier" – lecture éminemment recommandable. (Cité par Philosophie Magazine N°95.)
On peut avoir peur, oui, c'est même recommandé. (Quand je dis "on", a priori je parle pour moi. Que chacun élargisse ou non, à son gré.)
• Il y a aussi une certaine excitation à se dire « Nous vivons un moment historique. » On s'en serait bien passé, certes, mais quand même, c'est grisant, ça nous change de la banalité du quotidien. (Cette excitation est d'ailleurs aussi un des moteurs des "radicalisés" : quitter l'ennui, vibrer, vivre enfin, quitte à en mourir. Et il y a aussi une certaine fascination "romantique" et "romanesque" face à l'acte ultime, tuerie, attentat-suicide. Méfiance : la fascination est une des armes du fascisme.)
• « Il y a l'effroi », disait François Hollande, avec cette formule grammaticalement discutable mais juste : c'est du "il y a", impersonnel, quelque chose qui se répand dans l'air, dans l'atmosphère générale, touchant tout le monde ET chacun… Et l'effroi contient le mot froid. Oui, on a froid. Il convient de se réchauffer – et autrement que la tête sous la couette.
Nous sommes entrés dans le miroir des fous. Pour l'instant, nous y sommes coincés. Il va falloir le traverser.
Nous n'avons pas à rester sidérés.
• Le 7 janvier était un assassinat ciblé, "justifié" (prétexté, plutôt) par des blasphèmes de presse. L'attentat contre Charlie Hebdo avait une forte "valeur symbolique", parait-il. On en a entendu des « Ils se sont attaqué à la liberté d'expression » dans les réactions politiques et médiatiques ! Mais non, croyez-vous qu'ils pensaient si abstraitement ? Ils ont tué des gens, ils n'ont pas tué "la liberté d'expression". Nous, nous y voyons un symbole fort. Après ça et après le musée tunisien (l'art) et la plage (les touristes), et quelques autres, on pouvait se dire que la prochaine fois, ce serait un autre lieu symbolique, plus spectaculaire, peut-être… La Tour Eiffel, les Galeries Lafayette, ou un bâtiment public, l'Élysée, la Chambre des Députés… ou alors une usine classée Sévéso ou une centrale nucléaire… Non, rien de tout ça… Des bistrots… Pour l'essentiel, ils veulent juste tuer des gens.
— Mais le stade de France, quand même !
— Oui, là il y avait un gros enjeu symbolique (la bêtise populaire des amateurs de foot), mais surtout un gros enjeu de foule, de masse – plein de gens. Heureusement, leur amateurisme les a fait rater leur coup.
— Et le Bataclan ?
— L'enjeu symbolique, c'est le rock, c'est la musique "dégénérée", comme le nazisme fustigeait les "arts dégénérés". Est-ce un hasard s'ils ont attaqué une soirée death metal, musique satanique, plutôt que Charles Aznavour…? À part que les Eagles of death metal font plutôt une parodie de death metal… Et puis les djihadistes sont des amoureux de la mort… logiquement, ils devraient bien s'entendre avec le death metal. Peut-on y voir encore de l'amateurisme ? Est-ce juste une question d'accessibilité ? Si ça se trouve, certains de ces tueurs étaient déjà allés dans cette salle voir des concerts (de death rap ?) et connaissaient donc les lieux et leur niveau de sécurité, tout simplement.
• Les signes et symboles qui se sont révélés à l'occasion de l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo sont toujours là, ce sont les mêmes qui ressortent des attentats de ce funeste vendredi 13 (et ils étaient déjà là avant, Merah à Toulouse, Nemmouche à Bruxelles, pour se contenter d'exemples récents et moins massifs). Blasphème supposé, apostats supposés (des musulmans devenus flics ou soldats de l'Occident), religion, islam, antisémitisme, islam antisémite et antioccidental, jeunes perdus des cités perdues – tout ça mélangé – gros magma… Si l'assassinat n'est plus ciblé sur des individus précis, nommés, si le 13 novembre est un véritable attentat terroriste au sens pur, c'est-à-dire terrorisant, il n'est pas aveugle pour autant, tous les prétextes sont bons : le rock, la fête, les cafés, les filles aux cheveux libres, maquillées, musique, cigarettes, amours libres… « Paris, la capitale des abominations, des perversions, des idolâtres… » (communiqué du Califat… les prophètes bibliques ne s'exprimaient pas autrement pour conspuer Sodome, Babylone ou Ninive), et ceci dans un quartier proche des ex-locaux de Charlie Hebdo et tournant autour de la place de la République… Sont aussi visés chez nous, ou inclus dans le "pack", comme participants à ce mode de vie décadent, nombre d'apostats, beurs, arabes laïcisés, voire ex-musulmans athéisés qui boivent de l'alcool et écoutent du rock. Des traitres à l'islam.
Maintenant, est-ce bien ça, ou seulement ça, "la civilisation", notre civilisation ou culture que nous avons à défendre ? Ça demanderai études et développement. Déjà, c'est peut-être con, c'est juste "notre mode de vie", pas "nos valeurs" (ça aussi, politiques et médiatiques nous le serinent). "Nos valeurs", ce serait juste les terrasses de café et les salles de rock ? On appelle ça aussi "société de consommation"… Pour ma part je ne vais pas en concerts de rock, pas souvent aux terrasses de café, je bois peu… et j'aime les filles sans maquillage (mais "en cheveux", oui).
Tout attentat projette une ombre sur la réalité. Celui-ci en particulier, sur notre réalité.
Non "nos valeurs", mais des signes. Ces signes devraient suffire pour comprendre (= "appréhender par la connaissance", mais aussi "intégrer dans un ensemble"…)



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