samedi 25 novembre 2017

Dépassée, la SF ?


Daniel Pennac : « Pas d'affolement, rien ne se passe comme prévu, c'est la seule chose que nous apprend le futur en devenant du passé. » ("Chagrin d'école".)
Dépassée pas seulement par les réalisations concrètes qui vont plus vite que l'imagination (la SF n'a pas prévu le plastique partout ni l'ordinateur domestique pour tout le monde…), aussi par les imaginations qui ne se sont pas réalisées, qui ne se réaliseront jamais. Les rêves de voyages galactiques plus vite que la lumière (et pourquoi pas sortir de l'univers, aussi ?) par exemple. On ne posera pas le pied sur Vénus (et surtout pas dans des jungles peuplées de dinosaures rouges et d'amazones bleues géantes). On ne terraformera pas Mars (déjà, on ferait mieux de s'occuper de terraformer la Terre). On ne voyagera pas dans le temps (l'idée même est parfaitement irrationnelle), seulement dans le futur, et à vitesse normale.
Les cauchemars de la SF, par contre, sont en cours de réalisation accélérée : surpopulation, règne des robots, surpopulation, pollutions, surpopulation, tyrannie numérique, surpopulation, pandémies, surpopulation, dérangement climatique, surpopulation, dégâts des eaux, surpopulation…
Le futur ne se cache pas derrière un quelconque voile. C'est plus simple : il n'existe pas. On parle souvent de "changer le futur". Mais on ne change pas le futur puisqu'il n'existe pas – par définition. On ne change pas le futur, on ne le fait même pas, ou si peu, il se fait tout seul, avec ou sans notre aide, mais avec nous y inclus, qu'on le veuille ou non.
On peut espérer ou craindre le futur. On peut, non pas prévoir, mais imaginer le futur, un futur, des futurs. On peut travailler à le fabriquer ou à l'orienter ou on peut l'attendre passivement.
Notre angoisse du futur est liée à notre volonté de maitrise. Nous aimerions bien pouvoir prévoir ou orienter, fabriquer le futur comme nous le désirons, le nôtre personnel ou celui de l'humanité. On s'y efforce – plus ou moins. Mais les impondérables arrivent en foule, l'adversité nous blesse, ça ne se passe jamais "comme prévu" (comme espéré, en fait). Nous ne maitrisons pas. En particulier parce que le futur, le présent, même, sont la conséquence inéluctable de processus anciens, démarrés dans le passé. L'industrie polluante née au XIX° siècle avec le capitalisme. L'islamisme né des colonisations et décolonisations (on peut même remonter aux croisades… ou même à l'invention de l'islam par Mahomet… ou même à l'invention du monothéisme par Moïse). La situation des noirs américains née de l'esclavage vieux de plusieurs siècles. La politique israélienne née de l'holocauste nazi, etc., etc., etc.
Les causes du futur sont installées dans le passé – inaccessibles, donc, par définition, puisqu'il n'est pas question de voyager dans le temps. On ne peut que tenter d'infléchir la séquence en cours. Mais la masse de la causalité exerce une poussée énorme, quasi indéformable. Les infléchissement resteront marginaux.
Ce qu'on change parfois, ce n'est pas "le futur" (comme semble le croire le héros de "Minority Report"), c'est un futur possible, rationnellement envisageable ou purement fantasmé, un futur imaginé, parmi d'autres, une probabilité plus ou moins probable. On ne change rien, on privilégie une probabilité parmi d'autres. Ce "choix" rend obsolètes certaines des autres imaginations-prévisions, ces autres probabilités – qui n'étaient que des probabilités.
« Le futur n'est plus ce qu'il était », disait Asimov, déçu sans doute par la réalité moins excitante que les rêves de la SF années 50… Le futur sera moins futuriste que prévu. Eh oui, cher Isaac, le futur, c'était mieux avant… Le passé portait un futur imaginaire. Plus ça va, plus celui-ci est contrarié par la réalité. Imaginaire caduc, rêves inassouvis, désirs inaccomplis. Le résultat réel : notre présent. Le réel présent infirme le futur du passé, un (éventuel) futur du passé dépassé. Maintenant, ce nouveau présent, qui a remplacé tous ceux imaginés dans le passé, engendre à son tour de nouveaux futurs, de nouvelles imaginations de futurs, de nouvelles probabilités. Limitées puisque, comme dit plus haut, la masse de la causalité installée dans le passé exerce toujours sa poussée.
Reste donc à savoir si ce présent engendre(ra) des rêves d'avenir brillant, ou les étouffe(ra) dans l'œuf.
L'avenir nous le dira. (Phrase de conclusion très con.)


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