samedi 10 novembre 2018

ALONE ON MOON / 39


JOURNAL INTIME APOCRYPHE DE LOLA LOKIDOR ET RUFUS TUCRU (suite)
1er novembre (juste)
Rufus Tucru se regarde dans son tiroir. La faute a encore de frappe. Pourtant, sur le clavier, le T et le M sont éloignés. Mais effectivement, il est bel et bien dans le tiroir de sa table de nuit, entre un paquet de mouchoirs en papier et un tube d'oscillococcinum. Il a le teint blême du petit matin. Il referme le tiroir.
Il passe à la salle de bain et se regarde dans la glace : il attrape froid.
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2 novembre (juste à temps)
Lola Lokidor voyage toujours avec un cercueil dans lequel elle range ses robes.
Rufus Tucru, du temps qu'il était très riche, se faisait faire des lavements au champagne.
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3 novembre (juste à temps avant)
Après une énième crise de cuisine moléculaire, Lola passa à la cuisine nucléaire. Ça risquait de faire des morts. Le lobby des extracteurs de racines carrées lui mit des bâtons dans le four. « Nucléaire, non merci ! » clamaient-ils avant d'affirmer « Vegan vaincra ! ». Lola rusa en en revenant à la cuisine maxillaire à base de grenade à poux, radiodermite et pulpite verticale. Elle réussit ainsi le concours de meilleur ouvrier pâtissier de France avec palmes académiques et cérémonie d'hommage aux Invalides.
Suite à cette révélation, son cerveau se ratatina dans son crane et son fessier doubla de volume. Elle se laissa tomber assise dans une brouette que Rufus Tucru avait cordialement placée derrière elle à toutes fins utiles. Il l'emmena à l'hôpital où on lui proposa aussitôt  une place au sanatorium suisse du Dr Verbinski. Elle y passa trois ans, au terme desquels son cerveau avait repris son volume initial, tandis que son fessier restait volumineux. Il lui servait de dictionnaire (elle trichait au Scrabble).
À son retour en ville, elle se mit à la cuisine quantique.
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4 novembre (juste à temps avant la fin)
Chaque fois qu'il se téléportait, Rufus Tucru devenait autre chose : un chien, une guitare, un lampadaire, une femme… Ou un grille-pain. C'était sa malédiction. La seule constante était la conservation de la masse. Ainsi, il avait été par exemple un chien, oui, mais de 90 kgs, une guitare énorme, une automobile minuscule, etc. 
Et ce coup-ci le voici un grille-pain en parfait état de marche mais très encombrant. La table de la cuisine menace de s'effondrer sous son poids. Lola repère rapidement le câble électrique et le branche sur une prise. Elle lui enfile une tranche de pain de mie dans la fente adéquate et appuie sur le pousseur adéquat. Une minute plus tard, il recrache un toast grillé à point.
Il propose : — Un autre toast, chérie ?
— Non, ça suffit comme ça. (Le toast était proportionné.) Ce que j'aimerais bien quand même c'est que tu arrives à redevenir Rufus Tucru en chair et en os.
Mais il ne maitrise pas le processus. Il sait se téléporter instantanément à peu près n'importe où par un simple effort de volonté, mais ses transformations sont parfaitement aléatoires.
— Je tente le coup, dit-il pour faire plaisir à Lola.
Il se téléporte sur la chaise voisine de Lola. Et – miracle – il est redevenu lui-même en bonne et due forme. Mais – malheur ! – il n'avait pas débranché le câble et il prend un bon coup de 220 volts dans les particules subatomiques.
Ça aurait pu gâcher leurs retrouvailles, mais finalement non. Ce fut électrique.
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5 novembre (juste à temps avant la fin du monde)
Rufus Tucru croyait que la Terre était plate. Mais que la Terre soit plate ne l'empêchait pas d'être bipolaire.
Bon, bipolaire, ce n'est pas schizophrène, quand même. N'est pas schizophrène qui veut, alors que bipolaire c'est à la portée de tout le monde.
Mais il aurait bien aimé redevenir d'un seul bloc. Jusqu'à ce que, vers 77 ans, il rencontre son double. (Cf. plus haut, au 1er novembre.) C'était troublant. Son double lui ressemblait comme un jumeau mais avec quelque chose de différent et de connu à la fois. C'est que, dans le tiroir, il n'était pas inversé droite/gauche.
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6 novembre (juste après la fin du monde)
L'auteur a le syndrome du cheveu sur la soupe. Mais syndrome capillaire ou gastronomique ? Ou technique littéraire ?


2 commentaires:

WENS a dit…

Ah, j'adore ce dessin !

WENS a dit…

"Rufus Tucru, du temps qu'il était très riche, se faisait faire des lavements au champagne." Ah ah ah !
Je crois que Macron fait ça aussi !