jeudi 14 janvier 2016

Le Charlie 1224 court toujours.


Ainsi, j'en reviens à ce numéro 1224 toujours en cours bien que le 1225 soit paru (décidément, le temps passe plus vite que moi) et ses textes – particulièrement sérieux.
Fabrice Nicolino, accompagné d'un beau dessin de Catherine, fait le récit de l'assassinat du 7 janvier (Pas "attentat : assassinat ciblé). En passant, FB est une des meilleures plumes actuelles du journal, ses articles écolos retrouvent la verve rentre-dedans des éditoriaux d'Arthur dans "La Gueule Ouverte" en son temps.
Riss signe non pas "un édito au vitriol contre les religions", comme le disait un commentateur quelconque qui n'avait lu que quelques lignes, mais un édito à la fois vengeur, triste et modeste. Vengeur, oui, contre les dogmes, les illuminés, les "fanatiques abrutis par le Coran", les autres culs-bénits… contre aussi les faux amis, intellos aigris, chroniqueurs insipides, journalistes jaloux… Triste, parce qu'il n'est pas pensable, dit-il, qu'au XXI° siècle, en France, "ilot laïc", une religion tue des journalistes… Modeste (et fier en même temps) parce que Charlie Hebdo a toujours été une anomalie créée par des "marginaux avec un talent béni des dieux" – pas le même dieu, bien sûr ! Modeste aussi parce qu'il ne cache pas la fragilité, les difficultés économique du journal que beaucoup considéraient comme subclaquant. Ainsi : « Je n'ai jamais considéré le privilège de s'exprimer dans un journal, dans cette démocratie, comme un dû. Rien ne nous est dû. » Et puis : « Le journaliste n'est pas propriétaire de la liberté d'expression, il n'en est que le serviteur. » (Ben oui : les tueurs n'ont pas attaqué "la liberté d'expression", ils ont tué des gens vivants… des auteurs qui s'exprimaient en liberté. Je reparlerai de cette manie politico-médiatique, mais peut-être aussi scolaire et universitaire, de tout traduire en symboles ou allégories…)
Ensuite… je ne vais pas tout décortiquer, même si presque tout est intéressant, à différents titres, et parfois… étrange. Sigolène Vinson, Philippe Lançon, Igor Gran, Coco, etc. et je m'attarderai sur quelques points. Comme la page de Vuillemin qui nous régale d'autodérision et de coups de patte envers les proliférations de dessins de presse à base de crayons, de crayons, de crayons, de paradis et de plantu…
Et puis voici, étrangement, un article de Richard Malka. L'avocat… le complice de Val… Son article sur la laïcité est intéressant, je ne dis pas… mais sa présence ici ne laisse pas de m'inquiéter. Déjà que lui et Val montrent leur nez partout dans les docus et plateaux télé et me hérissent l'épiderme (mais j'ai une zapette…)… Et voilà que plus loin, je trouve avec effarement un article de Caroline Fourest, autre membre de la bande… et, il faut le dire, un article dégueulasse de lyrisme haineux. Qui s'en prend, sans les nommer (qui est lâche, là ?) à Geluck, à Siné ou à Denis Robert. Beurk. (À quelques autres aussi, plus justifiés, sans doute…) Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?! La bande à Val serait-elle en train de remettre la main sur Charlie Hebdo ?!
C'est là un autre des éléments d'"effet mitigé", voire d'inquiétude, que je ressens… Je ne sais pas si ça ne regarde que moi ou même si ça ne me regarde pas, mais remonte ce trouble à propos des problèmes internes du journal période Val, les magouilles, le fric… la répartition des actions (eh oui, des actions… Logiquement, je me dis que le journal devrait être géré en coopérative d'auteurs. Naïveté  de ma part ? Mais peut-être n'ont-ils jamais trouvé le temps et le loisir de tout mettre sur la table et de trouver ou d'inventer un statut en cohérence avec leur état d'esprit, leur démarche politique…? Et tous ensemble, tous d'accord… C'est difficile, je sais…) Ces problèmes, aujourd'hui certainement pas complètement résolus, certains autour (je n'ai pas dit "vautours", parce que j'aime bien les vautours…) s'en régalent, semble-t-il, en font "des gorges chaudes", comme on dit. Moi ça m'étonne et ça m'inquiète.
Et donc deux colonnes de Guillaume Erner sur le rôle de la presse et des médias qui ne peuvent que remercier Charlie de leur avoir fourni un sujet en or, et qui dure… On a tant blatéré et déblatéré sur l'affaire depuis un an… et depuis bien avant, depuis "l'affaire des caricatures de Mahomet"… Les politiques, les médias, les blogs… transformant Charlie Hebdo en symbole récupérable tous azimuts autant que reniable… en proie au locus of control, cette propension que nous avons à rendre quelqu'un responsable du malheur qui le frappe. "Ils l'ont bien cherché, non ?" Mais les morts du 13 novembre…? Ils l'avaient bien cherché, aussi ? Je le cite, en conclusion forte et provisoire : « Charlie a été l'une des cibles de cette lutte à mort qui oppose les défenseurs d'une société laïque et ses ennemis. Dans ce type de combat, inutile de choisir son ennemi, c'est lui qui vous choisit. »
Ça suffit pour aujourd'hui. (Mais c'est toujours : à suivre).


mercredi 13 janvier 2016

Je suis toujours Charlie


La lecture du Charlie Hebdo N°1224 (le numéro anniversaire tiré à un million d'exemplaires, 32 pages, en vente un mois, parait-il) me produit un effet mitigé. Cette lecture se fait, il faut dire, dans un contexte complexe, qui associe les cérémonies officielles (et leurs "gags" : j'ai éclaté de rire en voyant débouler Johnny H., sinistre ! Et puis "Le temps des cerises" chanté par le chœur des armées……… Et ces Légion d'Honneur attribuées à ceux qui ne peuvent même plus la refuser puisqu'ils sont morts… Et la messe à Notre Dame, oui, mais avec les Fémen comme enfants de chœur !)… la sortie du livre de Philippe Val. "C'était Charlie" (que je ne lirai pas) et du film "L'Humour à mort" (que je ne verrai pas, tant je crains d'y voir encore le dit Val s'étaler la larme à l'œil en compagnie de son complice Richard Malka)… mais aussi, (heureusement, même s'il est triste) la lecture du dernier bouquin de Cavanna, "Lune de miel", celle, complémentaire, du "Mohicans" de Denis Robert, et la vision, tout aussi complémentaire, du film du même Denis Robert sur le même Cavanna… sans omettre quelques docus télévisuels souvent répétitifs diffusés ces derniers temps.
"Souvent répétitifs", c'est peu dire : "Les Réseaux de la haine", les cités, le djihad – ceux qui en sont revenus, les hauts et les bas de la guerre en Syrie-Irak, "Les Visages de la terreur"… accumulation qui culmine le 5 janvier avec "Janvier 2015, Paris face à la terreur", "Charlie 712", "D'un 11 septembre à l'autre", "Paris est une cible", "Les Armes des djihadistes", "La Chambre vide", "La Caricature, tout un art !", "Fini de rire"… mais surtout et heureusement, le très beau : "Du côté des vivants" de David André. Suivront, le 6, "Charlie, le rire en éclat", "Engrenage", "La France face au terrorisme", "Charlie : un an après, ils racontent", "De Charlie au 13 novembre : comment les attentats ont changé la France", et le 7, "C'est dur d'être aimé par des cons", que j'évitai pour les mêmes raisons valiennes que j'ai déjà notées plus haut. Sans compter que je n'avais pas du tout aimé cette fameuse couverture ; un de ces jours j'essayerai d'expliquer pourquoi. J'ajoute que bien entendu je n'ai pas regardé tout ça, parfois il vaut mieux revoir "Peggy Sue got married", "Looper", "Haute voltige" ou "Fenêtre secrète"… sans oublier un docu (prémonitoire) sur David Bowie… Et encore, plus récemment, le sympa "À la recherche de Bernard Maris".
Tout ceci est assez éprouvant. Sur Cavanna, à travers son bouquin comme à travers celui de Denis Robert et le film… la tristesse de l'âge et de la maladie, les souvenirs durs, très durs, du STO en Allemagne, et l'amertume liée à l'histoire de Hara Kiri, Charlie Hebdo, etc., (« L'histoire de la dilapidation d'un héritage. Une histoire tumultueuse, magnifique, triste et honteuse », dit Denis Robert), la brouille avec Choron, les magouilles sordides de Val et les positions ambigües de quelques autres (Cabu ?!). Si ça me touche tellement, comme leur assassinat m'a déchiré, c'est que ces journaux et ces gens ne faisaient pas simplement partie du paysage, ils étaient pour moi essentiels. Sans jamais y participer, j'ai toujours vécu, depuis le tout début, avec ces journaux, donc avec ces gens. Je ne les ai jamais côtoyés, seulement croisé certains au hasard des festivals, mais c'étaient "mes copains", des voix familières avec qui je discutais chaque semaine en mon for intérieur… Et avec qui je me disputais parfois car je n'étais (ne suis) pas forcément d'accord avec eux. Mais si je fais maintenant du dessin de presse, et l'état d'esprit dans lequel je le fais, c'est bien à eux que je le dois, y compris et peut-être encore plus, ceux d'avant, morts "de mort naturelle", Gébé, Reiser, Choron, Cavanna…
Quant aux morts assassinés, il faudra bien que je dise mon amour et ma reconnaissance à Wolinski, à Tignous, à Charb (non sans quelques réticences), à Cabu dont j'admirais plus le génie de la caricature (au sens propre) que l'humour – quelque peu défaillant ces dernières années, à Honoré pour ses qualités graphiques, sa capacité à récupérer et détourner les photos de presse, et, hors dessin, Oncle Bernard – inconditionnellement (encore que son admiration pour l'œuvre de Houellebeck ne m'ait pas convaincu de lire ce dernier…) Merci aussi à Mustapha Ourrad, grâce à qui il n'y avait dans le journal ni fautes de français, ni fautes d'orthographe, ni coquilles, seulement des couilles.
Quant aux blessés et survivants, passés entre les balles ou simplement pas là ce jour-là je cite plus loin Nicolino, mais il y a aussi Riss, bien sûr, nouveau pilier (non sans quelques réticences aussi de ma part), et surtout Lançon, modèle de culture, de qualité d'écriture, de sensibilité. Le récit semaine après semaine de sa réparation justifierait à lui seul la lecture du canard. Willem, Luz, Coco, Patrick Pelloux – inconditionnellement, le plus humain des êtres humains – et bien d'autres que j'identifie mal, sans doute parce qu'ils sont plus récents dans le journal ou parce que je ne les ai jamais vus…
Ce qui veut dire aussi que Charlie Hebdo n'a jamais été pour moi un canard juste pour rigoler ni un canard de "dessins avec des bites", ni une collection de couvertures provocatrices, ce à quoi s'arrêtent les illettrés et les tueurs. Ni "Le Hérisson" ni "L'Almanach Vermot", mais un canard à lire, pour ses opinions, ses prises de position et de bec, son contenu intellectuel et politique. Dans Charlie Hebdo, depuis toujours, je lis tout. Même, à l'époque, Val. Ses éditoriaux, j'appréciais une fois sur deux. Et pas pour des raisons d'intellectualisme qu'on lui met souvent sur le dos : moi aussi je suis fan de Spinoza : qu'on le cite, ça ne me fait pas peur. Plutôt sans doute pour des raisons politiques (le TCE, par exemple), et parce que je sentais que Cavanna et quelques autres ne l'aimaient pas (et réciproquement). Quand il a viré Siné, c'est devenu zéro, même si je n'étais (ne suis) pas forcément toujours d'accord avec le dit Siné. Zéro, ça veut dire que, comme bien d'autres, j'ai boycotté Charlie Hebdo jusqu'à ce qu'il se tire, le Val – bon débarras… et que j'ai proposé mes services de dessinateur à Siné Hebdo, entamant ainsi une nouvelle expérience qui me tentait depuis longtemps…
(à suivre)

jeudi 31 décembre 2015

DÉCHÉANCE


J'avoue que la question de la déchéance de nationalité française, que celle-ci soit acquise ou héritée, pour les terroristes binationaux me laisse dans une indifférence abyssale.
Déjà "droit du sol" et "droit du sang" me semblent des notions dépourvues de sens, moyenâgeuses, fondamentalement racistes et nationalistes.
Après, comme pour la question de la peine de mort, il va être question de différents concepts à majuscule : Morale (chrétienne ou autre), Éthique, Valeurs Sacrées, Universelles, Droit Humain, Humanisme… tant de droite que de gauche… surtout de "gauche bien pensante", pour employer une expression consacrée. Et donc, déchoir ces gens, ça irait à l'encontre de toutes nos VâââLeeeuuurs. Autrement dit, c'est mal (comme la guerre ou les attentats, d'ailleurs).
Autre critique classique : c'est inefficace. Parce que, comme la peine de mort, ce n'est pas dissuasif. Effectivement, quand on en voit se filmer en Syrie en train de bruler leurs passeports français ou leurs cartes d'identité françaises, on se rend bien compte qu'ils n'en ont rien à foutre, de leur nationalité française.
Mais s'agit-il de dissuader, de punir ou simplement d'empêcher de nuire ?
Si punir, c'est pas bien (c'est seulement de la vengeance) et dissuader, ça ne marche pas, il reste empêcher de nuire (à nouveau = récidive). Sur un plan pragmatique, donc, il s'agit de savoir ce qu'on fait d'individus avérés dangereux, c'est-à-dire qui se sont livrés à des actes terroristes sur le territoire dont ils sont nationaux. (Et peut-être – cas plus douteux – débarrasser aussi le pays d'autres individus considérés comme potentiellement dangereux, c'est-à-dire "radicalisés" soupçonnés ou avérés mais n'étant pas passés à l'acte.)
On les met en camp, en prison ? On manque de place, et, en prison, ils passeront leur temps à radicaliser leurs voisins.
Cayenne ? Le bagne n'existe plus depuis longtemps.
On les fusille comme "traitres à la patrie" ? Pourquoi pas, puisque ce sont des ennemis ? Mais on n'est pas dans une guerre au sens officiel "déclarée" de pays à pays (cf. article précédent)… et, sur le plan civil, la peine de mort, ça ne se fait plus non plus.
Alors si déjà, sur le petit tas de terroristes confirmés, on a la possibilité d'en expédier quelques uns (les dits binationaux) ailleurs, loin, dans l'autre pays dont ils ont la nationalité, en les déchevant (déchoyant?) de la ci-devant nationalité française, sans pour autant en faire des apatrides (ce qui est interdit par les lois internationales tant qu'on n'a pas créé une Apatridie, un pays pour mettre tous les apatrides), pourquoi s'en priver ?
Toujours sur un plan pragmatique, c'est la seule efficacité de cette loi, elle est toute petite, mais c'est déjà ça. Déjà ça de moins à gérer. Plus de problème moral, plus de problème de prisons surbookées. Et plus de problème de procès qu'ils pourraient utiliser, victimes  starifiées, comme tribune pour prêcher leur idéologie et lancer leur anathèmes, c'est classique.
Sinon, on peut toujours les expédier en Corse.


(Quant à ceux qui trouveront à juste titre qu'il y a trop de ON dans cet article, qu'ils sortent leur grille d'interprétation personnelle, mais l'impersonnel de ce ON est tout à fait volontaire et assumé. Le cynisme aussi.)

samedi 5 décembre 2015

QUEL EST TON NOM, GUERRE ?



(Article écrit avant les attentats du vendredi 13 novembre et destiné à Zélium, numéro spécial "guerre" qui vient de paraitre et où, finalement, rattrapé par les évènements et un bouclage chaotique, il n'a pas trouvé sa place.)
(Corrections diverses apportées le 20 décembre, particulièrement sur les usages du NOUS et du ON…)
À la base, selon la définition du dictionnaire, une "guerre", c'est la lutte armée entre deux ou plusieurs États. Internationale, donc, et, à l'occasion, mondiale. Une "guerre civile", par contre, c'est la lutte armée entre groupes et citoyens d'un même État.
Actuellement, nous (a priori, quand je dis nous, c'est nous Français, et plus largement nous Occidentaux…) sommes, d'une part, dans une (sorte de) guerre contre un ennemi intérieur : des Français terroristes islamistes ; ce n'est pas tout à fait une "guerre civile" dans la mesure où on n'en est pas – pas encore – à une lutte armée entre citoyens d'obédience FN et citoyens djihadistes ; mais en faire une simple affaire policière suffit-il à définir le problème ? D'autre part et dans le même temps, nous sommes dans une lutte armée extérieure, pas vraiment déclarée, et pas vraiment contre d'autres États : les ennemis sont à la fois ce qu'on peut appeler l'ITI : Internationale Terroriste Islamiste (le califat, dit daesh, al-qaïda, les talibans, boko haram, etc. etc. etc.), mais aussi le gouvernement syrien (Bachar et plus ou moins son allié Poutine), quand même un peu les autres gouvernements de la région, non ? Alliés-ennemis…? Et puis il y a les pauvres malheureux réfugiés qui déferlent sur nos villes et nos campagnes pour ne pas dire nos filles et nos compagnes… Amis ou ennemis ? Extérieurs ou intérieurs…? Depuis quand ? Jusqu'à quand ?
La situation est un peu compliquée, non ? Mais dire que ce n'est pas une guerre sous prétexte que ça ne correspond pas à la définition officielle me semble un argument de fuite, une lâcheté intellectuelle et politique. Après, on peut se dire que cette guerre n'est pas de notre fait, qu'elle nous est imposée, que c'est une guerre imbécile ou tout ce qu'on veut, il n'en reste pas moins que.
Sur un plan plus individuel, aussi bien nous Français et Occidentaux que les arabo-musulmans en leurs pays nous nous retrouvons pris entre deux feux : la lutte armée (ou guerre) pratiquée par l'ITI, l'internationale terroriste islamiste contre un peu tout le monde et la lutte armée (ou guerre) pratiquée par nos gouvernements contre ledit terrorisme islamiste.
L'état de double contrainte (double bind) est endémique. Nous, individus dits "hommes de la rue" ou citoyens lambda (encore une fois aussi bien nous Français et Occidentaux que les arabo-musulmans en leurs pays), sommes otages du terrorisme et sa menace latente partout (c'est sa vocation, son fonctionnement) ET otages de la lutte antiterroriste qui suppose des flics et militaires à tous les coins de rue et des lois de surveillance intérieure ("lois liberticides", comme on dit toujours). Nous (là, plus particulièremen nous Français et Occidentaux) adorons être connectés par tous les bouts (smartphones, twitter, facebook…) ET nous ne voulons pas être fliqués par les lois de renseignement et surveillance. ET, quand un drame se produit (un attentat), nous dénonçons les failles de ladite surveillance. On veut faire des affaires avec l'Arabie Saoudite ET on se méfie du financement des mosquées en France ou en Belgique par cette même Arabie Saoudite. On veut que nos djeuns' ne partent pas au djihad en Syrie ET quand ils rentrent on les met en prison au lieu de les serrer bien fort contre notre cœur ou de les mettre contre un mur et douze balles dans la peau, comme on fait généralement aux traitres à la patrie, dans les guerres.
Vous remarquerez que je ne dis pas MAIS entre chaque proposition, mais ET : elles sont contradictoire, sans doute, mais en fait surtout complémentaires, situées au même niveau cognitif et émotionnel, et par là-même pathogènes. Le double bind rend fou.

Ainsi, pour résumer, si guerre il y a, nous sommes en guerre contre une organisation ou un mouvement international tant intérieur qu'extérieur. Je sais (même après diverses précisions apportées entre parenthèses) que ce NOUS est difficile à définir : au delà de la France, est-ce "l'Occident" ? Non, pas que… Est-ce "la communauté internationale" ? Euh, pas toute… L'ONU ? Les citoyens du monde entier, les peuples ? La Raison ? Un peu tout le monde………?)
Si on ne veut/peut pas appeler ça une "guerre" selon la définition officielle, disais-je, et pas non plus exactement une "guerre civile", je me vois contraint de reprendre, non sans un rictus à la fois de dégout et d'ironie, le terme et concept émis dès 1943 par Carl Schmitt, le juriste du parti nazi, qui parlait de la fin des Nations et donc de GUERRE CIVILE MONDIALE.


Complément d'information : Un article de Philosophie Magazine N°16 (février 2008).
La parution de La Guerre civile mondiale relance la polémique française autour de Carl Schmitt. Quelle portée donnée à la publication des essais d’un juriste allemand accusé au procès de Nuremberg d’avoir inspiré la politique hitlérienne ? La philosophe Céline Jouin a regroupé et traduit des textes inédits de Carl Schmitt sur le droit international, datant de l’après-guerre. Plusieurs années après l’Allemagne et l’Italie, la France s’intéresse à nouveau au juriste, jadis admiré par Raymond Aron. Le philosophe marxiste Étienne Balibar apprécie sa critique du système libéral. Les libéraux eux-mêmes, le politologue Philippe Raynaud en tête, s’appuient sur ses écrits pour interroger leurs idées. D’où provient cette étrange fascination de nos intellectuels ?
C’est lors d’une conférence prononcée à Madrid, en juin 1943, que l’expression « guerre civile mondiale » apparait. Carl Schmitt désigne ainsi un nouvel ordre mondial. La guerre interétatique n’existe plus ; elle a cédé la place à la guerre de l’ère industrielle. Cette guerre « totale » s’étend hors du domaine militaire : elle est économique (embargos et autres sanctions), technologique (aviation et contrôle des airs) et idéologique (menée au nom de la paix, de la justice ou de la démocratie). Parce qu’ils sont les plus puissants et qu’on réclame leur aide, les États-Unis se sont mis à adopter des mythes « de mission démocratique » issus du messianisme protestant. Mais le juriste allemand ne croit pas aux valeurs universelles : elles ne sont que des masques dont se parent les puissances occidentales pour défendre leurs intérêts. Il n’y a pas de guerre juste. L’histoire n’est pas finie. L’humanité n’est pas réconciliée dans un ultralibéralisme triomphant. Elle sera toujours en guerre.
Carl Schmitt a prophétisé l’existence du nouvel ennemi : le terroriste ou le « partisan », comme il l’appelle, celui qui opère en dehors de toute armée conventionnelle. Un ennemi sans visage et sans nom, que le nouveau droit international est incapable de combattre. Pour Carl Schmitt, le diagnostic est clair : les guerres à venir seront religieuses. Curieuse intuition au regard de la montée des intégrismes d’aujourd’hui.