mardi 25 novembre 2008

CAPITAL

LO N° 258 (24/11/08)
L'ARGENT-DETTE / 7


CAPITAL
Même étymologie que cap, capitale, capitole, chapeau, capitaine, chef… etc. Du latin caput : tête.
Dans la tête des capitalistes (= "ceux qui sont à la tête de —") le capital est un avoir qu'on fait fructifier, non par son propre travail, mais par le travail des autres. Mais ça, ce n'est qu'un premier temps. Dans le temps financier (post-capitaliste, "financiariste"), on ne fait plus travailler des gens, on fait "travailler l'argent" (prêt à intérêt, spéculation boursière, actions…). Et on croit (ou semble croire) que ça remplace. En fait ça vampirise le travail vivant, ça le détruit… et après on s'étonne que cette disparition du travail vivant entraîne la destruction de la finance. (Effet retour, boucle, boomerang…)

Actu : on a retrouvé dans un bois un homme coupé en morceaux répartis dans des sacs-poubelle, sauf la tête – restée introuvable. Etait-ce un capitaliste décapit(alis)é…?

REVENIR AU "CAPITAL HUMAIN" ?
Appliquer l'idée de morale, ou éthique, ou de déontologie au capitalisme-libre-échangiste-sans-entraves… est une contradiction dans les termes… un oxymore ! (A part qu'un oxymore, on le fait exprès pour faire joli, en rhétorique. Là on est plutôt dans l'ornithorynque.) Autant envisager un loup végétarien, un bleu rouge, un noir très clair (Barack Obama ?), la quadrature du cercle, la dernière décimale de PI…
Quant à l'expression (sarkozienne, si je ne m'abuse) "capital humain", voisine de "ressources humaines", elle est aussi un oxymore mal venu qui fait du potentiel de chacun (la potentia de Spinoza) une chose capitalisable et exploitable, un travail mort (chose), par opposition au travail vivant (acte). Un homme a-t-il une valeur marchande…? Et son juste prix existe-t-il…? A-t-il une valeur d'échange…? Une valeur de spéculation…? Un humain est-il spéculable, jouable en bourse, consommable ? La société de consommation consomme-t-elle aussi des gens ?
… Retour au temps de l'esclavage, maintenant "librement consenti"… Encouragement à la servilité volontaire, pourrait-on dire… (Ce qui inciterait à se poser des questions sur les notions de liberté et de volonté, un peu comme pour les filles qui portent le voile islamique "volontairement"…) Etre son propre patron, alors ? Mais c'est bien souvent s'exploiter soi-même, se comporter comme un capitaliste dont le capital serait sa propre personne. Tous capitalistes, chacun entrepreneur de soi-même ! (Ce qui peut fort bien arriver aux travailleurs indépendants, comme les artistes, auteurs de BD et autres…)
Mais l'homme n'est pas une marchandise, pas plus que l'argent.
Quant aux choses que l'on s'est habitués à considérer comme des "marchandises", en y réfléchissant un peu, c'est très discutable aussi : la terre — surface et sous-sol — est considérée depuis longtemps comme achetable, vendable, privatisable, spéculable… et aussi le blé, les fraises et les patates et les arbres qui y poussent… alors pourquoi pas l'eau des rivières ou de la mer, pourquoi pas l'air et les nuages, pourquoi pas le soleil et la pluie, les étoiles et la lune, les hommes, les femmes, les bébés, les membres et organes, les codes génétiques… Et le temps… On y tend… (Le temps c'est de l'argent ?)

(Serais-je en train de réinventer l'anarchisme proudhonien dans son opposition à la propriété privée ? Mais quelque part, depuis longtemps, je suis ébahi comme un indien d'Amérique du fait qu'un homme puisse posséder une surface de terre… Les patates qu'il y a cultivées, ça va, j'admets sa propriété privée et qu'il puisse en faire commerce… mais la terre ?!)

LE PRIX DES GENS
Mais ce qui est valable et pas spécialement choquant pour les patates, le charbon ou les kg de coton, tant qu'on échange des choses, des matières, des marchandises au poids… devient problématique dès qu'on s'intéresse aux échanges de savoir-faire, de compétence, aux heures de travail (qui entrent de toute façon en compte déjà dans les patates, le charbon, le coton…), aux "services", aux œuvres d'art… Et la présence, le savoir, la tendresse, les soins, la justice…? Ces valeurs ne devraient-elles pas échapper à toute évaluation monétaire, à tout marchandage ?
Quel prix peut bien valoir une musique, une œuvre d'art, un service, une odeur… au delà du prix des matériaux qui y entrent en jeu…? Aucun prix, en fait, cela est inappréciable, impayable, "sans valeur", dans l'absolu. Sauf si celui qui propose l'œuvre ou le service en question annonce : « C'est à vendre tant. »… ET SI (condition indispensable) quelqu'un l'achète au prix proposé. De l'absence de valeur absolue, on passe à une valeur relative, valeur de convention, dépendant de l'offre et de la demande, dépendant d'une relation, et établissant un consensus (s'appuyant aussi sur des habitudes, un marché déjà établi par la pratique). D'où la pratique, dans le domaine de l'art, dans les ventes aux enchères, d'avoir un complice ou deux, qui vont faire monter les enchères et acheter, créant ainsi une cote, c'est-à-dire une valeur monétaire "officielle" (consensuelle).
Si personne n'enchérit et si personne n'achète, il y a malaise : on doit alors passer aux enchères négatives, c'est-à-dire laisser les acheteurs éventuels déterminer le prix à la baisse. Dans cet exemple, côté psychologie relationnelle, il y a une lutte : en quelque sorte ce sont deux "chantages" qui s'affrontent ; jusqu'à ce que l'un des deux craque. Il y aura du triomphe — et de l'humiliation.
Le jeu de l'offre et de la demande, on le présente généralement comme mécanique, froid, objectif, du moins dans le domaine des échanges de marchandises concrètes. Neutre et rationnel. Pourtant… le triomphe et l'humiliation sont là aussi… entre le paysan qui a mis sa sueur et son amour dans son champ de patates ou sa vigne et qui doit passer par la vente à un distributeur qui considère sa production comme de la chose, et qui chosifie le paysan lui-même – quantité négligeable, car remplaçable, ici ou ailleurs. Donc pas loin de l'esclavage.

L'ESCLAVAGE (Quelques mots sur —)
Il fut peut-être un temps où l'esclavage pouvait être vu, après tout, comme une forme de sécurité : renoncer jusqu’à la fin de ses jours à sa liberté pour assurer sa subsistance. L'obligation perpétuelle de travail était compensée par l’assurance d’avoir toujours à bouffer… Mais, de nos jours, on en est arrivé à un stade où même l'esclavage est précaire !
On peut aisément dire que la mondialisation maintient et même accroît l’esclavage, notamment des enfants, et que les travailleurs sans-papiers sont assimilés à des esclaves dans la mesure où ils sont à la merci de leurs employeurs. Mais s’il y a des travailleurs irréguliers, c’est qu’il y a quelque part des règles, et ces règles ont été décrétées par des Etats, non par des entreprises. Il dépend des gouvernants que ces règles soient appliquées ou non. Non ? (Cf Yves Benot. "La modernité de l’esclavage – Essai sur la servitude au cœur du capitalisme". La Découverte)(Pas lu)

L'ARGENT (comme relation)
"La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute", dixit Montaigne. Ne peut-on en dire autant de tout élément de communication, intermédiaire, objet transitionnel, substitut, monnaie d'échange… monnaie…? Argent. L'argent comme vecteur d'échange, symbolique, comme le langage, et rien d'autre. Censément neutre, objectif, impartial, sans charge en soi (matérielle ou libidinale). Appartenant autant à celui qui donne qu'à celui qui reçoit, donc n'appartenant à personne, en fait, pas plus que l'air que nous respirons, même s'il est déjà passé par des milliers de poumons. (Beurk.) (Ou, comme dit une Brève de comptoir, « Dans le métro, on respire un air qui a déjà été pété plusieurs fois ».) (Re-beurk.)
L'argent : un moyen — au sens strict. Le seul objet qui puisse être échangé contre tous les autres — à part que ce n'est pas un objet, et même que le problème commence là : quand on en fait un objet. (Fétichisme.)
Le mot n'est pas la chose. Le signe non plus, dessin, peinture (cf Magritte "Ceci n'est pas une pipe"), pas même la photo. Evidences. Ce sont des symbolisations, des virtualisations qui permettent de dire, de représenter, discourir, échanger. Des signes. On peut discuter de pommes de terre, avoir même un échange fécond sur le sujet, sans pour autant se salir les mains et pousser des brouettes. La modélisation scientifique ressortit du même principe : on peut expérimenter sur un modèle informatique plus confortablement que sur la chose en soi. (Ça fait kantien, tout de suite…)
Mais il ne faut jamais oublier LA CHOSE. Il faut s'y confronter, s'y heurter (car parfois ça fait mal), la peser. On ne mange pas à quatre autour du mot "table". Quant à la table-en-soi, c'est "pour manger dessus", certes (fonction), mais c'est aussi "un plateau de bois sur quatre pieds" (forme), et aussi "50 kg de bois d'arbre (matière)". (C'est juste un rappel : il y a des portes ouvertes qui méritent d'être enfoncées.)
Retour à la matière, retour à la réalité (la matière, la terre, le corps — grand absent de ce jeu financier.)
What's the matter ?
Si l'argent n'est pas une marchandise (ne devrait pas) c'est qu'il n'est pas une chose. Il n'est pas la chose dont il indique la valeur d'échange. Il n'est que cela : un nom, un nombre, un signe, désignant une valeur d'échange, une valeur consensuelle (ou relativement consensuelle) pour une chose, ou un service. Un équivalent symbolique, un transmetteur, un étalon, un traducteur, un commun dénominateur, un raccourci… qui permet de créer des équivalences acceptables, acceptées collectivement, entre des choses et actes difficilement comparable a priori. Par exemple une heure de travail physique et tant de kg de patates, 1 m2 de tuiles romaines, et un morceau de musique… "Entremetteur universel" (Marx), l'argent traduit toutes les valeurs en leur attribuant un prix (un nombre). Et Michel Serre voit l'argent comme un Joker, un équivalent général qui a toutes les valeurs et tous les sens pour n'en avoir aucun.
Partant, l'argent est (censé être) "neutre", non passionnel, n'appartenir à personne, pas plus que le langage, les opérations d'arithmétique ou les centimètres. (Je dis bien "est censé"…)
L'argent n'est que l'ombre des choses. (Mais aurait-on lâché la proie pour l'ombre ?)
On pourrait encore le qualifier de vide. (Et ce vide possède un pouvoir sans fond.)
Mais si l'argent est ainsi un vecteur vide, impartial, neutre, rationnel, comment se fait-il qu'il nous TROUBLE tant ?
Pourquoi en sommes nous si avides (a-vide) — et insatiables ?

(à suivre)

1 commentaire:

bertrand a dit…

Vient une question.
D’aucuns veulent moraliser le capitalisme. Allez, sans rire, nous allons prendre un instant pour acquise cette bonne volonté.

Serait-ce mal, de considérer l’argent comme un objet ? Voire, Le Mal du capitalisme ?