LO N°397
LE DÉRÉGLEMENT CLIMATIQUE ET SES NÉGATEURS
SUITE 17 (Suite des LO 359, 360, 361, 367, 369, 373, 376, 380, 383, 387.)
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Rappel de la LO 387
… Mais évidemment, partant de cet éloge du doute, de l'incertitude, du scepticisme, les négateurs ou climato-sceptiques ont beau jeu.
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LA MACHINE À NIER
On emploie parfois le terme négationniste pour désigner les négateurs du réchauffement climatique… C'est un abus de langage, bien sûr, bien que les deux attitudes aient des points communs. Le négationnisme, le vrai, celui de qui nie la réalité des camps d'extermination nazis, consiste à nier un fait historique avéré. Partant, cela trouble profondément notre rapport à la réalité, à la vérité. Le piège, c'est que cela arrive à faire considérer une vérité historique comme une croyance ou une opinion, voire un mensonge (complot). On aurait le choix de croire ou ne pas croire à l'évènement, alors que l'évènement en question se place tout à fait en dehors de la problématique croire ou ne pas croire. C'est évidemment extrêmement dangereux et bien typique de notre époque de grand n'importe quoi.
Mais il s'agit là d'un fait avéré, historique, situé dans notre passé récent, donc bardé de toutes les preuves nécessaires. Il en est autrement de la problématique réchauffement climatique ou pas ? Et, si oui, provoqué par l'homme ou pas ? Là, on est à cheval sur - du passé lointain, avec des faits plus ou moins avérés, - du présent large, avec des faits avérés (mesures de T°, surface des glaciers et banquises…), - du futur à court, moyen et long terme, à base de modèles, d'hypothèses, sans cesse en cours de confirmation. La question n'est pas de croire ou non, elle est de savoir ou de "presque savoir" (fourchettes, pourcentages de probabilité.) On est dans le domaine des hypothèses plus ou moins étayée. La discussion est donc normale et saine, à condition que les argumentations soient au niveau de la question, en l'occurrence, des arguments scientifiques discutés entre scientifiques (climatologues de préférence.) Ce qui veut dire que les attaques ad hominem ou les théories du complot ne sont pas très intéressantes. Certes, quand on a le sentiment de n'avoir pas prise sur la réalité (historique ou scientifique), l'idée d'un complot est d'un grand secours… « Tout ça c'est du lobby pétrolier » contre « Tout ça c'est du lobby écolo »… Mais c'est du temps perdu.
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L'ARGUMENT D'AUTORITÉ
Croire ou ne pas croire ? (voilà la question) Et qui croire ? Et pourquoi lui plutôt qu'un autre ?
Le doute, la confusion, le scepticisme, la certitude… Tout cela nous fait entrer mine de rien dans des questions de philosophie et de sociologie des sciences, et de psychologie personnelle et collective.
Déjà, on peut examiner, dans notre rapport à la science, une part de mythification. Pour nous profanes, "un scientifique est un scientifique", « C'est un grand savant, il doit savoir ce qu'il dit. », c'est-à-dire que sa parole serait, croyons-nous, fiable sur n'importe quel sujet scientifique – ce qui est faux, bien sûr. D'où la confusion des polémiques entre experts, chercheurs, climatologues, météorologues…
L'aura du scientifique l'autorise-t-elle à faire usage d'un argument d'autorité ? Sur n'importe quel sujet scientifique ? Déjà, la spécialisation (excessive) des chercheurs s'oppose à cet argument d'autorité général, mais même quand un spécialiste s'exprime dans son propre domaine, on est en droit d'exiger des preuves, des arguments discutables, réfutables. On ne peut se contenter de la seule autorité liée à la position de l'émetteur.
Le philosophe des sciences Karl Popper (1902-1994) a inventé le critère de réfutabilité pour qu'une théorie ait un caractère scientifique. Ce critère est une conséquence, ou mieux une condition de cohérence, du critère fondamental de la démarche scientifique, à savoir "le principe d'objectivité".
« Une théorie qui n'est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. Pour les théories, l'irréfutabilité n'est pas (comme on l'imagine souvent) vertu mais défaut. » (Karl Popper "Conjectures et réfutations". Payot, 1985)
« Avec l'idole de la certitude (qui inclut celle de la certitude imparfaite ou probabilité) tombe l'une des défenses de l'obscurantisme, lequel met un obstacle sur la voie du progrès scientifique. Car l'hommage rendu à cette idole non seulement réprime l'audace de nos questions, mais en outre compromet la rigueur et l'honnêteté de nos tests. La conception erronée de la science se révèle dans la soif d'exactitude. Car ce qui fait l'homme de science, ce n'est pas la possession de connaissances, d'irréfutables vérités, mais la quête obstinée et audacieusement critique de la vérité. » (Karl Popper "Logique de la découverte scientifique")
« La science ne cherche pas à énoncer des vérités éternelles ou des dogmes immuables ; loin de prétendre que chaque étape est définitive et qu'elle a dit son dernier mot, elle cherche à cerner la vérité par approximations successives. » (Bertrand Russell / 1872-1970 / ABC de la relativité)
Qui fait usage de l'argument d'autorité n'est pas loin du terrorisme (intellectuel). On a vu ainsi ces derniers temps l'affrontement entre un terrorisme climatique et un contre-terrorisme sceptique, chacun accusant l'autre de dogmatisme. « Vous ne pouvez pas dire que… » ou « Vous n'avez pas le droit de dire que… »
Les sceptiques désignent des lobbies écolos surpuissants qui "prennent en otage les populations, les gouvernements, les investissements économiques". Ils parlent de "persécution, de fanatisme, d'hystérie de fin du monde, de peurs irrationnelles, d'une conception romantique de la nature, d'une rhétorique idéologisée de faute-pénitence-expiation"… (Authentique. Je n'invente rien !)
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IRRESPONSABLE
Si les sceptiques concourent à l'approche de la vérité, en tout cas tant que cela se tient dans le cadre scientifique, les négateurs, eux, sont avant tout des semeurs de trouble médiatique. Ça a été le cas de ce fameux "climategate" d'avant Copenhague. Claude Allègre, de même, dans son dernier bouquin, jette le discrédit sur la rigueur scientifique des rapports du GIEC, mais comme il accumule les erreurs et les contrevérités (comme dans ses bouquins précédents), il jette le doute sur sa propre rigueur scientifique et finalement sur la rigueur scientifique en général. Du coup, une fois de plus, discrédit, perte de confiance en l'institution, en la parole des élites. Et risque de démobilisation des opinions et des gouvernants.
« Aujourd'hui, la science, inintelligible pour l'immense majorité, se confond avec la technologie, les armes terrifiantes, les catastrophes gigantesques des dernières décennies qu'ont accompagnées tant de mensonges.
C'est dans ce contexte, et à propos du problème crucial pour l'avenir de la planète qu'est celui du réchauffement climatique, qu'intervient la polémique lancée par Claude Allègre et son équipe. Bien sûr, les scientifiques peuvent se tromper, s'engager parfois dans des impasses, et il arrive qu'ils polémiquent entre eux. Mener un débat sur des choix scientifiques fondamentaux est une nécessité démocratique. Les obstacles sont immenses : profonde inculture scientifique de "l'élite" du pays, règne du "faire bref et simple" sur les médias audiovisuels.
Mais lorsque Claude Allègre utilise la candeur, la méconnaissance ou le goût du sensationnel de certains journalistes pour diffuser des contrevérités, ou pour détourner la notion de doute légitime afin de se poser en victime d'une prétendue pensée unique, le débat se trouve verrouillé, le rapport à la vérité est brouillé, la science en est affaiblie. » (Michel Broué, mathématicien, professeur à l'université Paris-Diderot. Texte préparatoire de sa communication aux Rencontres de Pétrarque, sur le thème général de la confiance, organisées par France Culture et Le Monde dans le cadre du Festival de Radio France à Montpellier). Le Monde, 22 juillet 2010.
Autrement dit, le comportement des négateurs est irresponsable et cette irresponsabilité, au temps présent, est grave.
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Infographie de Hervé Graizon
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