dimanche 24 octobre 2010

Une petite fable


LO N°416. 24/10/10
••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

ZOB

— Il s'appelle Zob et il vit à poil sur un tas de fumier…
— C'est pas plutôt Job ? Dans la bible, je veux dire…
— Non, dans mon histoire, c'est Zob, avec un Z, parce que c'est la dernière lettre de l'alphabet. Et le type, c'est le dernier homme sur Terre.
— Et le tas de fumier, pourquoi ?
— En fait, c'est plutôt un tas de décombres : déchets, restes, toxiques, cendres, cadavres, débris, ordures, détritus, gravats, scories, poussières, saletés, poubelles, dépotoir, excréments, crottes. Caca.
— Ça a l'air chouette. Tu racontes ?
— Ben, un jour, l'ONU a fait une grande réunion internationale de chefs d'États dans sa grande salle de réunion à New York, face à un grand écran planisphère. Un laboratoire de CalTech avait enfin réussi à modéliser la Terre dans un programme informatique hyper-sophistiqué. Enfin, on allait pouvoir discuter avec elle en temps réel, en direct et en clair.
On a mis la bécane en marche, l'écran s'est illuminé, et la Terre (elle s'était fait un look tout en rondeurs mamelues et vallons velus) y est allé direct :
« Bon, ça suffit les conneries. Grève d'oxygène pendant six mois. Effet immédiat. »
Et elle a disparu de l'écran, tandis que les chefs d'États dans la salle s'effondraient sans plus attendre. Et la même chose partout sur Terre : les quelques sept milliards d'humains moururent en quelques minutes.
— Et les animaux ?!
— Les animaux aussi. La plupart. Ne survécurent que ceux qui peuvent se passer d'oxygène pendant six mois, les scorpions, certains batraciens et insectes qui peuvent se mettre en diapause, les poissons qui pompent directement l'oxygène dans l'eau grâce à leurs branchies. Mais tout ce qui respire avec deux poumons creva. La fin du monde, faut pas rêver : c'est dur pour tout le monde.
— Pas cool. Mais chez les hommes, y a bien eu des survivants ? Y a toujours des survivants, dans les histoires de fin du monde…
— Oui, des plongeurs sous-marins qui avaient des bonbonnes en réserve. Des pompiers, aussi… Des militaires… Et puis dans les hôpitaux, des malades sous respirateur qui ont compris ce qui se passait en voyant leurs infirmières collapser, et qui ont su trouver la réserve d'oxygène en bouteilles… Paradoxalement, ce sont les malades en insuffisance respiratoire qui s'en sont tirés d'abord… Tant qu'ils ont eu des bouteilles d'oxygène sous la main… Mais quand il n'y a oplus personne pour te livrer à domicile…
— Ça fait beaucoup de conditions, pour survivre…
— Ouais… Et du coup ça fait pas beaucoup de survivants : il fallait avoir des réserves pour six mois.
— Et les plantes, la végétation ?
— La végétation, ça respire du CO2, du dioxyde de carbone (et le CO2, c'est pas ça qui manquait) et ça recrache de l'oxygène O2, oui… mais même si tu t'installes le nez dans le potager, t'en auras pas assez pour tenir le coup. Les plantes ont bel et bien mis six mois pour reconstituer une atmosphère respirable, comme l'avait prévu Pandora.
— Pandora ?
— Oui, la Terre avait décidé qu'elle se nommait Pandora, référence mythique et cinématographique.
— Et ce… Zob… alors ?
— Oh, lui, c'était un brave type, un black de la Nouvelle Orléans, gardien dans une réserve de fournitures pour hôpitaux, pompiers, etc. Il en avait vu d'autres. Il avait déjà vu passer Bush père et fils, Katrina et la marée noire BP… Il aimait se shooter à l'oxygène dans son coin, derrière un tas de caisses. En plein shoot, il a vu les autres employés du dépôt s'effondrer, haleter et clamser… Il est allé aux écrans de vidéosurveillance sans lâcher sa bonbonne, il a vu la catastrophe qui s'étalait partout… avant que les écrans s'éteignent… parce qu'il y a eu très vite des pannes de courant, évidemment, faute de maintenance.
Il a compris, il est resté scotché à sa bonbonne et il s'est installé dans la réserve, avec de l'eau et de la bouffe. Il est très vite devenu expert dans l'avalage de contenu de boîtes de conserves sans respirer. Il a survécu comme ça pendant les six mois.
De temps en temps, il testait l'air, toussait-crachait… et reprenait une bonbonne… jusqu'au jour où il a senti qu'il pouvait à nouveau respirer normalement. Et c'est comme ça qu'il s'est retrouvé dernier homme sur Terre : Zob, à poil sur le tas de décombres de la civilisation humaine.
— C'est tout ?
— Ben oui. Il était déjà vieux. Un jour, il est mort.

CAZA, août-septembre 2010, sur une idée de Vincent Kra.


Aucun commentaire: