vendredi 17 janvier 2014

On peut renoncer aux mots qui ont mal vieilli / 5


Évidemment, le problème d'un texte découpé en feuilleton à suivre, sur un blog, c'est que c'est toujours le dernier billet qui apparait en premier et, la flemme ou le temps disponible aidant, on ne va pas forcément voir les précédents. Et je pourrais difficilement faire un résumé des chapitres précédents au début de chaque post, vu que je suis déjà dans le concis (des notes, pas une thèse) et je ne vois pas comment résumer en trois lignes les idées qui m'ont demandé une page.
Disons simplement que les idées essentielles, c'est que 1- les trois termes de la devise sont un peu des grands mots idéalistes et que j'ai envie de les ramener dans le concret pratique. 2- qu'ils ne fonctionnent qu'en interaction : antagonisme et complémentarité – réconciliation.
Suite, donc…

• Égalité
L'Égalité, par définition, c'est une question collective. Et peut-être une condition de la vie en commun. (Quoique de nombreux pays s'en passent.)
— L'égalité entre les hommes, faudrait déjà qu'on nous demande notre avis avant. (Brève de comptoir, 1997)
Le terme Égalité tout pur est peut-être trop théorique, voire mythique : personne n'y croit, (« Ouais… Tous les hommes sont égaux, surtout certains… »). Même si, là aussi, il y a un idéal dont nous sommes épris (nous Français), chacun sait très bien que nous ne naissons pas égaux : on peut naitre riche ou pauvre, beau ou moche, petit ou grand, noir ou blanc, etc. La génétique et les autres conditions de naissance et de vie (éducation, état de la société…) imposent moult inégalités de base. Ce qui nécessite donc de préciser égaux en droit ou en droits. En tant que citoyens, nous sommes tous (censés être) d'égale valeur (« égaux en dignité et en droits » dit la Déclaration de 48) pour l'État – et les uns pour les autres.
« Les hommes naissent libres et égaux en droit. Après ils se démerdent. » (Jean Yanne. Quand je vous dis que les humoristes sont là pour nous empêcher de nous contenter des slogans en "prêt à penser"…)
(Si on parle mieux des libertés, ou des droits, au pluriel que de La Liberté, du Droit, il n'en est pas tout à fait de même pour l'Égalité : peut-on parler des égalités au pluriel ? Sans doute, comme la liberté, à travers les application de légalité.
… Et puis on parle bien couramment de l'augmentation des inégalités dans notre société…)
••••••••••
• Fraternité
Mais je vais insister surtout sur le troisième terme, Fraternité, qu'on oublie souvent, ou qu'on ridiculise (quand Ségolène Royal, par exemple, le claironne), parce qu'il est de l'ordre des sentiments (affects) ou du religieux prêchi-prêcha, et semble tellement obsolète, dans un monde d'économie ultra-libérale de concurrence féroce et "non faussée". Le mot dérange, puisque, oui, il fausse la concurrence.
Pourtant les trois termes de la devise ne vivent qu'associés, oui, et Fraternité, c'est le lien ou le liant des deux autres, c'est ce terme qui les fait tenir, chacun de son côté et les deux ensemble et réduit leur antagonisme, comme je le suggérais plus haut : pour que chacun accepte de vivre une liberté non absolue mais relative (c'est-à-dire relative aux autres) et une égalité elle aussi imparfaite, il faut une certaine dose de fraternité. Pour que la société, une fois libérée, n'éclate pas en millions d'individualités égoïstes, concurrentes, en lutte (la "guerre de tous contre tous" de Hobbes), il faut au moins la solidarité. Pour que se fasse autant que faire se peut, la justice sociale, l'équité, il faut de la solidarité.
« Le socialisme est un pari… Je crois en la fraternité, mais je pense que la réalisation de la fraternité relève d'un pari… » (Edgar Morin)
Liberté et égalité sont des partis pris volontaristes dont on sent très bien qu'ils restent utopiques ou théoriques, ou sans cesse "à travailler" : work in progress. Et donc, c'est sans doute la fraternité qui fait tenir ça ensemble. Le cœur qui corrige le cerveau. D'accord, ma liberté est conditionnelle, conditionnée par celle des autres, d'accord il y a des inégalités de fait, le monde n'est pas parfait… mais tout cela est supportable, acceptable, parce qu'on s'aime bien. Les manifestations sensibles et concrètes de cette fraternité humaine corrigent et compensent les prétentions et imperfections des idéaux de liberté et d'égalité. Je peux abandonner une partie de ma liberté à ton bénéfice, parce que je te reconnais comme égal, humain comme moi, frère-sœur. Parce que je ne te veux pas de mal… peut-être même je te veux du bien… et je considère (quasiment par pétition de principe) que tu fais de même envers moi.
La fraternité, c'est la confiance réciproque, une foi en l'autre et en l'humanité… mais ça s'exprime le plus souvent dans des choses plus simples et plus concrètes (ras des pâquerettes).
(À suivre)
••••••••••
Lectures :
Régis Debray, "Les Communions humaines" (Fayard, 2005), "Le Moment Fraternité" (Gallimard, 2009), "Dégagements" (Gallimard, 2010)
Albert Camus "L'Homme révolté" (Folio Essais, 1985)
Edgar Morin, "Pour une politique de civilisation" (Arléa, 2008), + "La Voie" (Fayard)


Aucun commentaire: