samedi 18 janvier 2014

On peut renoncer aux mots qui ont mal vieilli / 6


• Relativité du relativisme.
L'idée dominante du billet, déjà esquissée dans les billets précédents : est-ce que ça vaut le coup de se bagarrer pour raviver ces termes facilement considérés comme usés ou trop idéaux ?
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« Pour que des individus à l'intérieur d'une société et des peuples vivent ensemble le plus harmonieusement possible, il faut bien qu'ils respectent un certain nombre de valeurs, qui ne sont pas forcément transcendantales et universelles et peuvent être relatives. » (Jean-Claude Carrière)


 (Dessin paru dans Siné Hebdo N°75)

Ces mots-valeurs ou notions-valeurs de liberté, égalité, fraternité, sous forme de devise ou de slogan, se veulent transcendantaux et universels, oui. Sacrés, même. (« Les droits naturels, inaliénables et sacrés… sous les auspices de l’Être Suprême », dit la Déclaration de 1789. "Naturels" ? "Inaliénables" ? "Sacrés" ?!…) Les Valeurs (ces fameuses Valeurs) sont de l'ordre du discours lyrique, de l'universalisme rhétorique et héroïque, emphatique (romantique, même), avec quelque chose de bien-pensant, idéaliste, angélique. Dans la Déclaration, elles sont a priori posées comme des Absolus. ("Liberté, Égalité, Fraternité" auraient-elles remplacé "Foi, Espérance, Charité", vertus théologales du christianisme ?) Seulement, les Absolus, comme le Bon Dieu, on n'y croit plus. Relativisons donc, tout en sachant que le relativisme mène au communautarisme (dans le sens de sectaire) ou au "n'importe quoi du moment que c'est mon choix – ou ton choix – ou son choix" (anomie).
À cette idée de nécessité de valeurs relatives, j'ajouterai : valeurs autant que possible concrètes. Nous avons besoin d'un consentement au monde, à la réalité, plutôt que de nous cogner la tête dans les étoiles des Idées-idoles.
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• Liberté (retour sur la –)
La Liberté est avant tout une question individuelle, disent les philosophes. Mais ils ont tendance à se situer soit du côté de supposées Valeurs Universelles, soit dans un espace assez abstrait,  platonicien, où planent des Absolus… Je laisse donc de côté la Liberté sartrienne, notion proprement inconcevable, sorte de vertige métaphysique qui donne la nausée, pour rester dans le quotidien, le concret, social, politique : la réalité.
Dans la réalité (la vie quotidienne, le social), la liberté de chacun n'est pas cet absolu dont nous sommes épris (sans le comprendre – parce qu'il est proprement incompréhensible), elle est limitée ou délimitée par les contraintes physiques (en gros, "les lois de la nature") et, sur le plan social, par la liberté des autres… et donc, par l'égalité, par la justice… et du coup, inévitablement, comme déjà dit, encadrée par les lois.
Liberté relative, donc, relative aux conditions naturelles et sociales (= la réalité).
• Mot-clé : responsabilité.
Dès les débuts du concept (au siècle des Lumières) on l'a lié à la responsabilité. Pas de liberté sans responsabilité. Pas de responsabilité sans liberté. C'est (ça devrait être) au plus profond de l'idée que l'homme se fait de soi. Christiane Taubira, dans un bel échange avec le philosophe Frédéric Gros (Philosophie magazine N°75, décembre 2013 - janvier 2014) cite Franz Fanon : « Il ne faut pas chercher à fixer l'homme, parce que son destin est d'être lâché. » Partant, le sens de sa vie, dit-elle, était à conquérir au delà des déterminismes. « Chaque homme étant "lâché", il est pleinement responsable de ses actes. C'est précisément parce que nous sommes libres que nous avons à répondre des actes que nous commettons, sans pouvoir nous défausser de nos responsabilités sur quiconque. […] Avec la fin de l'absolutisme monarchique, chacun a été reconnu comme un sujet de droit autonome, ce qui présente à la fois des avantages et des inconvénients. Du côté des avantages, l'individualisme moderne nous affranchit des appartenances familiales, communautaires, confessionnelles. En contrepartie, le citoyen doit assumer pleinement les conséquences de ses actes, notamment en cas de crime ou de délit. » (Mais je n'en finirais pas de développer autour du principe liberté/responsabilité, de l'éthique de la responsabilité, de l'impératif de responsabilité…)
Ce "sujet de droit autonome" nous amènera donc à nouveau à l'égalité.
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(À suivre)

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