• Sainte Trinité.
L'idée dominante : les trois
termes sont inséparables, ne fonctionnent qu'en association, sous l'égide
(bienveillante) du troisième.
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D'abord ceci : notre triade ou (sainte) trinité "Liberté, Égalité,
Fraternité" est en fait, à la base, faite d'abord et avant tout de trois aspirations (comme le dit la
Déclaration universelle de 48) qui s'expriment en cris de revendication :
LIBERTÉ ! = Nous voulons la Liberté (au lieu de la servitude).
ÉGALITÉ ! = Nous réclamons l'Égalité (au lieu de l'oppression des petits
par les gros).
FRATERNITÉ ! = Nous voulons vivre en frères, dans la chaleur de la
Fraternité (et non dans la froide indifférence ou la féroce rivalité).
Ce qui nous exalte, c'est la révolte, le cri
rebelle, la lutte, dans la manif ou l'émeute révolutionnaire, nous nous sentons
comme au dessus de nous-mêmes, unis, fraternels, égaux, libres. Fusion de la
foule. Révolution. Fête. (Dans "manifestation", il y a
"feste" = fête.) Mais ensuite, qu'on le veuille ou non, les politiciens
professionnels, les gestionnaires, doivent prendre le relais = installer.
L'ennui, c'est que le révolutionnaire qui devient gestionnaire, c'est Castro
qui devient dictateur, tandis que le Che va porter la Révolution ailleurs et
mourra, héros icônisé, dans la jungle, parmi ses frères d'armes. (Les révolutionnaires, une fois la révolution faite,
devraient laisser le pouvoir à d'autres et se retirer sous leur tente ou dans
leur cabane au Canada, quitte à revenir refaire une petite révolution-bis si ça
merde en route…)
Autrement
dit, on doit parler, au premier chef, non pas de Liberté (idée statique) mais
de libération (action), d'émancipation = sortir de l'esclavage (Les
Hébreux hors d'Égypte ou Spartacus ou l'abolition de l'esclavage ou la
libération de la France en 45)… non pas d'Égalité mais
d'aspiration à l'égalité et de revendication
d'égalité… non pas de Fraternité, mais de fraternisation (celle des frères d'armes, l'amitié par mauvais temps, dit Régis Debray). Des actes, des faits inscrits
dans le temps, dans l'Histoire, non des concepts.
Ensuite seulement doit venir l'installation,
l'établissement, voire l'institutionnalisation : graver des grands mots, des
absolus, aux frontons des mairies et des écoles et en faire un mode de
vie : non plus la Révolution (action en cours) mais la République
(institution chargée de concrétiser les aspirations du peuple).
La libération, lutte active, une fois accomplie, doit s'établir en Liberté et Égalité, état
permanent, fonctionnement social installé dans la durée, État. La
fraternisation (qui se produit dans la lutte pour la libération) doit, de même,
s'établir en Fraternité permanente. Et là, danger : « Le pire qui puisse arriver à des gens qui ont fraternisé en prison ou
sur les bancs de l'opposition, n'est-ce pas d'en sortir, de gagner des
élections et de se retrouver coincés dans un palais ? » (Régis
Debray, qui a côtoyé de près la révolution guevariste et a su éviter le piège.)
De même, La Marseillaise est chant de révolte/révolution violente
(nécessaire en son temps), mais est insoutenable dans une République pacifiée
où Liberté, Égalité, Fraternité sont
(censées être) établies. Même le Chant des Partisans, mieux écrit, est bourré
d'appels au sang, nécessaires en leur temps de Résistance à l'invasion,
insupportables aujourd'hui.
D'abord le CRI, donc, et le chant guerrier
vibrant, ensuite l'institution sous
forme de devise fixée une fois pour toute, comme un surmoi social. L'une des difficultés sera de combiner ces
contraires : universalisme et relativisme ou idéaux et réalisme (opposés,
complémentaires et concurrents). Une autre difficulté sera que ces notions ne
soient pas rigidifiées, chosifiées, momifiées, qu'elles restent des actes. Et même qu'on
admette qu'elles ne soient jamais accomplies, ces valeurs, qu'elles restent des
aspirations, un projet, une dynamique. Des concepts qui exigent d'être en
permanence réactivés.
Je
ne sais pas ce qu'avaient au juste en tête les "pères fondateurs" qui
ont pondu cette devise, mais, au delà de la revendication révolutionnaire et
plutôt qu'un ordre établi, une institution gravée dans le marbre au risque d'y
être figée (ou d'apparaitre comme une injonction : « Soyez libres, c'est
un ordre ! »), sans doute peut-on y voir d'abord un pari, celui d'un pacte, d'un contrat
social… Mais en construction :
un projet, désir, dessein… un horizon jamais atteignable, asymptotique, un
travail en cours, perpétuellement en cours, jamais fini, jamais figé… un programme pour le "vivre ensemble, se côtoyer sans se foutre
sur la gueule", ce qui est la question de base de la politique.
Programme
qui ne pouvait pas être et ne sera sans doute jamais une construction 100% rationnelle,
qui puisse se calculer en tenant compte des désirs et besoins de tous et de
chacun, comme pourrait le rêver un pur technocrate. Disons : un programme raisonnable plutôt que strictement
rationnel, et même une sorte de bricolage.
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(à suivre)
(à suivre)
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