vendredi 6 juin 2014

AUTOLOGIE (Science de soi)


"JE" n'existe pas. (C'est quoi, moi ? Ou pire "le moi" ?) Même Pascal (qui n'est pas dans mes petits papiers) se demandait « Où donc est ce moi ? » qu'il disait "haïssable". Le moi n'a rien de substantiel. "Je" et "moi" sont seulement des facilités grammaticales et des illusions pratiques : on aurait bien du mal à vivre et à communiquer si l'on ne pouvait pas, sujets que nous sommes, dire "je" et se revendiquer "moi", c'est-à-dire un individu, une personne, un sujet.
Je, moi = illusion nécessaire. En ce sens, le moi n'est pas haïssable. N'est pas non plus "un autre" rimbaldien – pose de poète. Mais toujours se rappeler que cette personne n'est personne. Que la notion de "moi" n'est qu'une enclosure pratique, un peu comme ces "patates" que l'on trace pour expliquer les "ensembles". Tracés provisoires, entrecroisés, mous sur les bords, flous. Se rappeler que la frontière qui sépare deux pays est aussi le lieu où les deux pays se touchent, se côtoient, communiquent, échangent.
Nous ne sommes pas séparés (des autres et du monde).
À partir du moment où l'on sait que notre corps contient des milliards de bactéries qui sont comme des cellules nomades, non fixées dans des organes, mais vivant libres dans ce milieu et, de plus, entrant et sortant, s'échangeant avec les voisins comme l'air qu'on respire et qu'on pète, comment se penser comme une monade enfermée dans sa peau comme dans une armure et se suffisant à elle-même ? Je parle des bactéries, je pourrais aussi bien évoquer les courants électromagnétiques et les regards, les mots et les phrases que nous échangeons avec nos concomitants.
Avant même le net, la toile, le réseau Internet, je suis, nous sommes, chacun de nous, un nexus, un nœud dans un réseau, tant naturel que culturel. Notre substance, physique comme mentale, n'est faite que de processus, c'est-à-dire d'activités. Processus non seulement internes, mais aussi et autant ou plus externes : échanges, interactions multiples avec notre environnement (naturel, artificiel, culturel), tellement multiples que nous sommes incapables d'en dresser la liste et de les maitriser, la plupart de ces processus se passant hors du contrôle de la volonté individuelle ou collective.
On nait et on grandit dans un pays, une langue, une religion, une famille, comme si ça allait de soi. Et en fait oui, ça va de soi. Rien d'autre. C'est "le monde comme ça". Dire "j'aurais aussi bien pu naitre en Afrique, parler Bambara, ou naitre musulman…" c'est une bêtise. Dire cela est souterrainement croire qu'on est, avant sa naissance, une âme qui attend de s'incarner ici ou là. Si tu étais né ailleurs et autrement que tu n'es né, ce ne serait pas toi.
L'individu est un mirage produit par une idéologie dominante qui nous fait croire que nous sommes séparés les uns des autres, singuliers. Mais l'individu et la masse forment en fait les deux faces d'une même médaille : « Par ce simulacre de singularité, l'individu est immédiatement massifié. » (D'après Juliette Cerf analysant et citant Miguel Benasayag dans PhiloMag N°38)


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