samedi 7 juin 2014

La quête


« J'veux pas mourir anonyme ! »
On parle souvent de jeunes en quête d'identité. Ils se cherchent, dit-on. On le dit des artistes en herbe, aussi.
Mais non, on ne se cherche pas, comme si on devait, à un moment, se trouver. Comme si on courait après un trésor enfoui, un Graal, un noyau dur de la personnalité, un "vrai moi", authentique, intouchable et intouché, qui existerait caché depuis toujours quelque part à l'intérieur d'une apparence sociale, et qu'il faudrait découvrir, mettre au jour. Mais il n'y a pas d'identité (de SOI préalable, qui aurait été donné à la naissance et aurait été oublié). (À moins de croire à une "âme" voletant auparavant dans les limbes, ou dans le ciel des Idées platoniciennes, ou en provenance, on ne sait comment, de vies antérieures bouddhiques, et s'incarnant ou se réincarnant un beau jour, parce qu'elle le vaut bien, dans un embryon tout neuf.)
À la base, on n'est rien, ou pas grand chose. Il n'y a pas grand chose à découvrir (son code génétique ?). Au cours de la vie, ou au cours d'une "démarche initiatique" ou de "développement personnel", en cherchant, en quêtant, en "se" cherchant, on ne se découvre pas, on se fait, on se construit, on se fabrique, on invente son "soi", on s'invente. (D'ailleurs, ne parle-t-on pas de l'inventeur d'un trésor et non du découvreur ?) Toute quête est en réalité un travail de construction de l'identité.
… Mais tout aussi bien sans pratiquer volontairement une "quête". Chacun se façonne (et est façonné par son environnement) tout au long de sa vie, de son vécu, de ses sensations et de ses actes, à travers sa vie physique, émotionnelle, relationnelle, rationnelle, ses œuvres (son métier ou son art). Ce que je fais me fait. Comme on devient joueur en jouant, forgeron en forgeant, écrivain en écrivant, politicien en politisant… C'est toute la vie qui est une "route de briques jaunes", un chemin initiatique au long duquel le SOI, l'individu, se fabrique.
On ne cherche pas son chemin, on le trace. Le type qui fait un pèlerinage à Compostelle ou à Katmandou ne va pas "se trouver" là-bas, comme si son SOI l'attendait au bout du chemin, comme si un magicien d'Oz l'avait gardé dans un coffre au fond d'une grotte mystérieuse. Par contre il va se le former et se le forger, son MOI, le composer, dans l'effort, la fatigue, la découverte des paysages et des autres, les aventures et mésaventures vécues en route.
Ton "être" serait le plus précieux, disent les charlatans ou escrocs donneurs de leçons. Leur psycho-morale sera : connais-toi toi-même et "deviens ce que tu es" (très à la mode, ça…). Mais la réalité est plutôt : tu es ce que tu deviens (processus non moralisant). Ou : tu n'es rien d'autre que ce processus de devenir lui-même.


Aucun commentaire: