dimanche 8 juin 2014

Cire vierge ?


— Si on se fait en existant, c'est qu'au départ on n'est rien du tout ? On partirait de zéro ? Le nouveau-né est zéro ? Page blanche ? Cire vierge ?
— Pas tout à fait. Le nouveau-né, certes, par bien des aspects, est un livre blanc : c'est essentiellement un potentiel. Le cerveau tout neuf est à peu près le même pour chacun (sauf accident ou maladie). Ensuite, c'est l'éducation qui va le mettre en œuvre, ce potentiel, comme un sportif s'entraine et, ce faisant, se renforce, s'améliore. L'éducation et les actes répétés tracent des sillons dans le cerveau et le corps… c'est comme ça qu'on apprend, qu'on se forme, qu'on se façonne. Marche, langage, articulation, calcul, etc.
— Ces sillons, ça serait pas des ornières, des fois ?
— Des fois, oui, ça peut le devenir. On en reparlera : le sujet est vaste… Ce sur quoi je veux insister, pour l'instant, c'est que le nouveau-né ne sort pas de nulle part. Il est inscrit dans un flux, dans un processus à long terme. Bien avant sa naissance, dès la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde, il s'inclut dans un flux temporel qui inclut ses parents biologiques, donc leurs deux codes génétiques combinés, chacun ayant aussi son propre passé génétique remontant à… quelques millions d'années… matière travaillée, retravaillée, mélangée, remélangée, dégénérée, régénérée, tout au long de ces millions d'années. (Ne jamais oublier le temps.)
Et puis, dès sa vie intra-utérine, il reçoit les sons et les nutriments de sa mère, et donc déjà, la cire vierge se fait graver, biologiquement et culturellement. (Quelle musique écoutait votre mère pendant sa grossesse ?)
Le flux où émerge le nouveau-né est aussi, j'insiste, le flux de la culture (de ses parents et ancêtres, de sa société… la langue, les mœurs, l'éducation, le frottement avec les cohabitants)… et le milieu naturel/artificiel, écologique et environnemental au sens large (climat, présences animales et végétale, virus et bactéries, vie à la montagne, à la mer, en plaine, en campagne, à la ville… ) et encore autres conditions difficiles à isoler : ondes magnétiques, radioactivité locale, pesanteur locale…
De plus, si le potentiel génétique est donné une fois pour toutes, l'imprégnation du milieu, environnemental et culturel, n'arrête pas, se prolonge tout au long de la vie.
Il n'empêche qu'on a raison de parler de nouveau-né. La naissance est une émergence de nouveau. Ce qu'il est, cette combinaison hypercomplexe de gènes et de conditions extérieures n'a jamais existé avant lui. Il est bel et bien nouveau.
Personne n'a jamais pu dire avant lui le JE qu'il pourra dire quand il prendra conscience de soi.


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