lundi 9 juin 2014

Expérience


Coïncidence, je tombe sur un petit livre de Roger-Pol Droit, "101 expériences de philosophie quotidienne". L'une des expériences proposées consiste à s'appeler soi-même, par son prénom, à voix haute, plusieurs fois de suite (dans un lieu où personne ne peut vous entendre : vous n'êtes pas là pour vous faire ridiculiser).
Une autre s'intitule "chercher JE en vain". Eh oui, ce mot tout petit qu'on utilise sans cesse, en sachant très bien, croit-on, qui ou ce qu'il concerne : à l'évidence moi, mon moi en tant que sujet (à commencer par sujet du verbe de la phrase) : je veux, je suis, je pense, je désire, je m'assieds, je mange, j'aime les pommes…
Pourtant tout le monde s'en sert ! Et sans me demander la permission ! JE, c'est moi, mais en même temps, ce serait tous les autres ? Chacun pourrait en revendiquer l'usage et une sorte d'exclusivité ? C'est un scandale ! Ou du moins un paradoxe. Mon intimité la plus profonde s'exprime à l'aide de ce pronom personnel… qui n'a rien de personnel. Évidemment (et heureusement) on n'y pense pas tout le temps, la vie deviendrait impossible. De même qu'on ne s'amuse pas tous les jours à s'appeler soi-même tout haut. De même que se toucher ou se mordre soi-même sont des faits banals, qui ne prennent un relief philosophique que quand on prend un moment à s'amuser à y réfléchir (c'est bien le mot : comme un miroir). C'est bien pourquoi il est question d'expériences et non d'une pratique quotidienne (qui pourrait mener à une forme d'aliénation).
Et donc, la question qui suit est "où se trouve donc ce JE ?" Existe-t-il vraiment quelque part en moi ? Correspond-il à quelque chose d'authentique ? (Sous entendu : est-ce bien mon moi profond, bien à moi, authentique, qui s'exprime, ou est-ce un faux-semblant, un vêtement social ?) Est-il mon corps, ou situé quelque part dans mon corps ? Mon cerveau, mon ADN, mes pieds ? Ma forme générale, qui pourtant, au cours de ma vie, a bien changé tout en gardant une certaine auto-ressemblance…? Etc.
Finalement il semble que JE ne soit nulle part, ne soit ni quelque chose ni quelqu'un, peut-être seulement ce pronom personnel pratique pour parler, pour faire des phrases, juste un médium pour que l'un individu puisse s'exprimer en tant qu'individu, en tant que sujet. (Question corolaire : un animal peut-il penser JE, se penser, s'exprimer en sujet ¿)


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