vendredi 20 juin 2014

Être soi-même


Je dois seulement savoir que "moi-même" est plus une illusion qu'une réalité, une croyance plus qu'une entité existant "en vrai". Pourtant il faut bien croire à une réalité de son "moi", c'est un besoin. Comment pourrais-je vivre, communiquer en société et être responsable de mes actes si je ne crois pas en un moi qui me positionne comme auteur, acteur de ma vie.
« Le moi est haïssable, mais c'est tout ce que j'ai. » (Philippe Bouvard)
Comment vivre autrement ? La responsabilité, la continuité… Nous avons besoin d'y croire, à ce moi, ce qui ne veut pas dire qu'il existe. Où ? Où serait-il, ce "noyau insécable", cette "origine" ? Qu'est-ce qui, en moi, avec le temps, demeure identique à soi-même ? Tout change avec le temps, les cellules, les idées comme la position sociale. Tout au long de la vie, je m'invente, j'évolue. Je devrais dire : le vécu m'invente, m'évolue…
Une petite citation d'Einstein (Albert), ça fait toujours bien : « La vie c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. »
Mais, plus joli :
« Caminante no hay camino, se hace el camino al andar. » Poème de Antonio Machado qu'Edgar Morin adore citer : « Toi qui chemines, il n'y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant. »
Le moi n'existe que dans l'avance, le cheminement, la marche (ou le pédalage).
L'identité n'est pas une chose. On ne peut pas dire de quelqu'un qu'il est identique. (Authentique, peut-être, mais encore faudra-t-il le prouver.)
— Excusez-moi de vous avoir fixé comme ça, je vous avais pris pour un autre
— Mais justement : je suis un autre.
L'identité serait plutôt un être, – à condition de bien lire ce mot comme un verbe. Et on devrait dire un étant ou un existant plutôt qu'un être. Autrement dit, l'identité est un processus en cours, toujours en cours, en fabrication, en invention, en construction constante, en chemin. (Je rabâche, je sais.) L'ego est transcendant dans ce sens qu'il n'est jamais abouti, arrivé, terminé, figé, réifié. Il n'y a pas de "moi-même" au sens d'une essence. Mais ce n'est pas le néant (sartrien) non plus, c'est un processus. (Comparable non à une machine mais au mouvement/travail de la machine.)
L'identité pensée comme acquise, établie, serait un leurre qui, de plus, briderait ma liberté, qui masquerait ma complexité, ce ne serait qu'une persona, une étiquette. (Et en fait, il en est de même de toute chose.)
Et pourtant il y a quelque chose qui persiste d'un bout à l'autre de la vie, quelque chose de permanent, qui reste identique à lui-même. Qui dure dans le temps, que je reconnais, que les autres reconnaissent, et que suis donc bien forcé d'appeler "moi". (C'est le terme "quelque chose" qui est gênant : notre langue utilise le mot chose à tout bout de champ, aussi bien pour désigner le plus concret, un caillou, que le plus abstrait, un concept.)
Si c'est une illusion, c'est une illusion nécessaire, indispensable.
Et pour finir, on peut dire JE ou MOI, mais en n'étant pas dupe, en sachant que derrière cette nécessité de se poser comme SUJET, autonome, actif et responsable (et même libre, si on veut), il y a tout ce conditionnement et ces conditions biologiques, historiques, culturelles, politiques, le passé et l'avenir, tout ce qui fait que JE-MOI n'est pas une entité détachée du reste du monde, du cosmos, mais un point de croisement de mille et cent mille déterminations.
(Faudra-t-il un chapitre sur le faux problème "liberté, hasard et déterminisme" ? Sans doute un de ces jours.)


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