vendredi 4 juillet 2014

Je suis… quoi ?


Michel Serres : « A défaut du sujet, je peux dire l'adjectif. »
On n'emploiera "je suis" que suivi d'un définissant, d'un qualificatif : Je suis ceci ou cela. Comme ceci ou comme cela. — Je suis un homme — je suis blond — je suis fatigué… par exemples et en se rappelant toujours qu'il ne s'agit pas d'états fixes, absolus, mais passagers.
Je suis "un homme" – lu en tant qu'être humain, représentant de l'espèce humaine, l'humanité. (Petit problème sémantique : quand je parle de l'humanité ou du genre humain, c'est pour ne pas dire à tout bout de champ "l'Homme", cette généralisation abusive, cette invention. Et quand je dis "un homme" ou "les hommes", c'est un humain en général, mâle ou femelle, enfant ou vieux. Que les chiennes de garde ne m'aboient pas aux fesses en me forçant à dire, comme un quelconque homme politique « les hommes et les femmes » !)
Être "un homme", un humain, donc, c'est un état durable (encore qu'un coma prolongé puisse faire douter de l'état humain : on dit légume, alors, mais c'est faire injure aux légumes), un état relativement durable mais pas fixe. "Homme en tant que mâle adulte", oui, par exemple, mais j'ai été bébé, enfant, ado, et vieillard je deviens (restant pourtant homme mâle encore, tant que je bande.)
De même, blond, je le fus, plus ou moins, et de moins en moins…
De même pour "fatigué", parfois, et à durée variable.
Une fois de plus : Ne jamais oublier le temps. L'identité, ce n'est que « ce qui demeure au sein de ce qui devient. » (Raphaël Enthoven). Le soi se maintient dans le temps, par mémoire et anticipation, et se reconnait soi-même comme soi, sur la longueur. Il y a une unité narrative d'une vie.
MOI n'est pas. Je suis définissable comme ceci ou cela, certes, mais à un moment – et ça change. Un homme n'est pas un être, mais un existant, un processus étalé dans le temps et dans l'espace, une activité. D'ailleurs bien des désignées "choses" sont en fait des processus. Tout, même. Même un caillou a une naissance, une vie, une mort… disons plutôt un début, une durée, une usure, une fin. La différence c'est que le caillou, sujet à l'entropie, va vers une dégradation, une usure, alors que l'humain, et l'espèce humaine, le vivant en général, évolutifs, fers de lance de la néguentropie (ou syntropie) vont vers une complexification (du moins pour un temps).


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