dimanche 21 février 2016

Complément à l'article précédent

-->
Un article dans le Télérama de cette semaine :
http://www.telerama.fr/idees/etat-d-urgence-pourquoi-nous-souhaitons-etre-surveilles,138222.php  
(C'est moi qui souligne et fais quelques coupes)

État d'urgence : pourquoi nous souhaitons être surveillés
« La sécurité est la première des libertés »*, martèlent le Président et le Premier ministre depuis le mois de novembre. Comment sortir de cette ornière rhétorique ? Réponse d'Antoine Garapon, magistrat et secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice.
# L'agitation politique actuelle dit bien la difficulté que nous éprouvons à mener le débat entre sécurité et liberté. Avec les attentats, celui-ci a changé de nature. […] Le néo-sécuritarisme actuel n'a plus rien à voir avec l'idéologie sécuritaire qui portait sur la longueur ou la dureté des peines à propos de faits divers ou de crimes. Aujourd'hui, il ne s'agit pas tant de demander aux institutions politiques – police, justice – d'être plus sévères, que d'empêcher la survenue de nouveaux attentats. C'est complètement nouveau. Désormais, cela ne gêne plus une immense majorité de Français d'être "fliqués", à condition que l'État nous protège ; nous souhaitons être surveillés. Droite et gauche se rejoignent autour des mêmes questions : qu'ont fait les services de renseignement ? N'auraient-ils pas pu empêcher les attentats ? Que font-ils pour mieux surveiller la population ?
En effet, avec l'état d'urgence et la réforme pénale à venir, on ne reproche plus à des gens ce qu'ils font, mais ce qu'ils sont ou, plus précisément, ce qu'ils pourraient devenir. Il s'agit de prévoir les risques, de mesurer le potentiel de dangerosité d'un individu en fonction de ses convictions, avant même qu'il ait agi. Prédire l'avenir, aucune institution ne peut le faire. Mais de véritables défis nous sont posés : que faire de ceux qui reviennent de Syrie ? Que faire d'individus potentiellement dangereux, qui sont de nationalité française ? Grandit aussi l'illusion d'une prévisibilité totale des comportements grâce aux big data, d'un destin "algorithmique" où untel aurait telle propension à se radicaliser...
Le basculement est majeur. Et il laisse la critique en difficulté, parce que la menace est inédite, et nous fait peur. Nous sommes pris entre la nécessité du contrôle pour nous protéger – rôle premier de l'État – et la crainte d'une régression terrible : celle de faire peser une présomption de culpabilité sur chacun, alors même que la présomption d'innocence doit être garantie pour tous. […]
La restriction des libertés publiques soulève peu de débats au sein de la population. On peut y voir le signe que la France a changé, y compris le peuple de gauche, lui aussi gagné par la peur. Nous vivons un état d'exception démocratique ratifié par la population.
Nous ne sommes pas les seuls. […] Les Américains, après le 11 septembre, se sont déclarés majoritairement favorables aux écoutes, même illégales. Parce qu'ils ont peur et qu'ils ne se sentent pas concernés par la privation de libertés – le terroriste, c'est l'autre... Joue enfin un phénomène de servitude volontaire, celui d'un homme démocratique fatigué, qui n'a plus ­envie de se battre pour des principes intouchables, comme il le faisait il y a encore quelques années.
Tout cela est à la fois très nouveau et très ancien. […] Notre pays s'est construit comme un État de police, c'est-à-dire non pas par des ­garanties externes au pouvoir – les fameux checks and balances anglo-saxons – mais par une autolimitation du pouvoir par ses serviteurs mêmes (dont la meilleure illustration est le Conseil d'État). La peur pousse à ne plus supporter les contrepouvoirs. Mais la France acceptera-t-elle de vivre longtemps encore ce déséquilibre croissant des pouvoirs ? Je n'en suis pas sûr. » 
Notes issues de quelques liens fournis par l'article ci-dessus :
* Article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sureté et la résistance à l’oppression. »
Mais la sureté de 1789 ne s'entend pas comme la garantie de sécurité physique ou matérielle des citoyens contre des agressions civiles. Elle est la garantie offerte à chacun que ses libertés individuelles seront respectées contre une arrestation, un emprisonnement ou une condamnation arbitraire. C'est l'affirmation d'une rupture avec l'arbitraire du pouvoir monarchique. C'est donc au prix d'une lecture erronée de la Déclaration que certains hommes politiques invoquent aujourd'hui la « sécurité, première des libertés », pour justifier la limitation des libertés individuelles. […]
La sureté de la Déclaration est donc bien une autolimitation du pouvoir par ses serviteurs eux-mêmes, État, police, justice, et non pas "la sécurité".
La sécurité, c'est autre chose. Qu'il s'agisse de la dame susceptible de se faire arracher son sac, du bijoutier susceptible de se faire braquer ou de copains buvant un pot en terrasse susceptibles de se faire massacrer à la kalachnikov, la demande du citoyen à l'État, c'est que ça ne puisse pas arriver. On ne lui demande pas de nous faire peur, pas plus de nous rassurer comme des enfants, mais de nous protéger. Et si quelque chose nous rassure, c'est de bien voir qu'on est bien protégés. C'est de l'ordre du principe de précaution. Les caméras de surveillance sont alors perçues comme caméras de sécurité ou de protection.
Et… c'est bien ou c'est pas bien…? Je veux dire cette demande de protection, c'est normal ou c'est de la trouille infantile ? Monsieur Garapon, comme bien d'autres abusant du mot peur, renforce celle-ci. Avoir peur est rationnel. Avoir les moyens de surmonter cette peur, c'est autre chose. La question n'est pas d'avoir peur ou non. La question est de prendre en compte les faits et de prendre en mains la réalité. Individuellement et collectivement c'est-à-dire, entre autres, avec l'aide de l'État, le gouvernement, la police, la justice, les pompiers… Institutions auxquelles on est censé faire confiance (le problème est là…)
Se pose toujours la question du "nous". Quand Garapon dit « nous souhaitons être surveillés », c'est très ambigu à cause de ce "nous" qu'il emploie. Mais si on le complète avec ce qu'il dit plus loin : « le terroriste, c'est l'autre », on comprend mieux : parmi ce "nous" (disons : notre pays), il y a un "autre"… qui n'est pas vraiment "nous"… "Nous", toi ou moi, « on n'a rien à se reprocher », on est a priori innocents, donc la surveillance ne nous concerne pas, elle ne concerne que "l'autre" – et là, on exige qu'elle soit efficace. Panique paranoïaque ou attitude raisonnable ?
Si la sécurité n'est pas "la première des libertés", elle en est quand même la condition. Une des conditions. Sinon, on est dans une sorte de rêve, d'idéal hors-sol où "La Liberté" est une sorte d'absolu sans condition qui n'a rien à voir avec les faits, la réalité. Disons, pour essayer d'être fin, qu'un niveau correct de sécurité est la condition de la possibilité d'exercice de nos libertés. Exemple : comment exercer (l'esprit tranquille) sa liberté de prendre un pot en terrasse si l'on est (si l'on se sent) sous la menace permanente d'un attentat ? L'idée que la foudre ne tombe jamais deux fois de suite au même endroit, que les terroristes changent de cible selon l'inspiration, que ça peut donc être n'importe où, c'est-à-dire partout ou nulle part aussi bien, peut faire partie de la panique paranoïaque OU on peut ranger ça dans un coin de sa tête comme symptôme de léger et faire ce qu'on a à faire sans s'en faire plus que ça. Après, la présence d'une caméra de surveillance ou d'un flic armé au coin de la rue peut être supplément de rassurance… Ou le contraire. Et alors retour au point 2) de l'article précédent.
Selon le tempérament de chacun, sans doute. Mais avoir plus peur de notre gouvernement que des terroristes islamiques me semble typique de l'état d'esprit masochiste de la société française actuelle.
(à suivre)

paru dans La Mèche

2 commentaires:

Georges a dit…

Le problème, je le répète encore une fois, est que "notre" gouvernement semble avoir les MÊMES envies d'interdire les MÊMES formes de libre pensée que les terroristes islamistes.

Philippe Caza a dit…

Je pense que tu exagères, Georges !