samedi 20 janvier 2018

"ALONE ON MOON" / 8


Dépotoir
Dans le long automne du chaos entropique (l'automne envoutant), le dernier été d'espoir est menacé d'expulsion. Il faut encore de la lumière car l'automne aux lèvres rouges est éteint.
Les esprits de la forêt réinventent les paysages. Les plus âgées des fées, assises entre deux parenthèses enchantées, mangeant la soupe d'anges, ne vont pas tarder à servir de quatre-heure à l'ogre Érébus.
L'outrage a commencé des meubles de salon. Comme dans un rêve, le chat Marmiton danse une pavane pleine de morgue. (L'hiver, tous les chats sont verts.)
Les fruits et légumes reprennent du poil de la bête. Des poires malveillantes nous observent du fond des Sargasses, muettes, elles plient leur peau dans les courroux marins, vaches grasses. (Vois l'étroit visage de la peur dans le détroit de Magellan. Entends le tremblement terrestre des orgues des quarantaines rugissantes. Entends l'esprit des eaux et son ondine aux cris acrimonieux. Le rire éclaté de la déesse aux cheveux verts résonne par delà les étoiles. Les sirènes hantent.)
Le piano à neuf queues et neuf vies est tapi dans un coin du salon. Le lustre – qui l'eut cru ¿ – se reflète dans le dallage à carreaux blancs et bleus de l'étage. Les étagères abandonnées flottent au gré des rayons vides de la lune. Les livres éparpillent sur le tapis leur typographie et leurs gravures.
Au bout de soixante minutes, la lampe s'éteint. Une voix sort du piano, interrogative : « C'est l'heure ? Déjà ? » Le ciel me tombe sur la tête, à moins que ce soit le contraire.
Le four a un dernier soubresaut, la table ment mais ne se rend pas. (La parole des tables est mystérieuse et maigre.) Ainsi finit la guerre des croutons, avec ses chevaux noirs, ses cavernes sculptées, ses oracles inattendus. Le lendemain, livide, c'est la paix comme de l'huile.
Mes vêtements m'attendent étalés sur mon lit, avides. (Le chapeau haute forme, la cravate blanche, l'habit en queue de poisson.)
Sauvages nous sommes, sauvages nous restons, même habillés de pied en cap de costumes de flanelle, chemises, cravates, chapeaux, chaussettes en nylon et souliers en cuir ajouré. Des forces maléfiques nous guident. Les cheminées fument, nous aussi. Faute de boire des coups, nous en recevons. Nous en donnons aussi, à abrutir des bœufs. Les matins sont sanglants, les éléphants sont nus : les habiller reviendrait bien trop cher. Les femmes essuient des rafales de perles. C'est tout un pan de la civilisation qui sombre dans le guacamole.
Mais 68 sondait les cœurs, ses barricades mystérieuses et ses palissades salies par Monsieur de la Police, où, de glisse en glissade, s'étala un récit mêlant colique, répulsion atavique, gueule d'atmosphère et langue de bois.
Le vent se lève. La réalité nous trahit. Tout ce qu'on a abandonné derrière nous, toutes ces chambres laissées vides…
Cassandre la prophétesse parie sur l'avenir. Mais si elle gagne, elle perd, car nous n'aimons pas les oracles, les prophètes de malheur, les profilers du futur, prophylactiques cordons bleus sanitaires. Nous préférons les banana-splits et la confiture de pirates, et nous avons l'insouciance orageuse. Nous pendrons Cassandre.
Les escargots assoupi dans les lieux secrets s'expriment par énigmes spiralées.
La radio ne sait plus quoi dire.
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Dada reste.
Le mouvement surréaliste, a priori anti institutionnel et subversif (héritage de Dada) s'institutionnalisa et Breton fut pape. Tout mouvement subversif, qu'il soit artistique ou politique, devrait se saborder avant de s'institutionnaliser.
Que restera-t-il du mouvement surréaliste ? Quelques peintres dissidents (ceux que Breton a exclus) comme Magritte.
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