lundi 13 janvier 2014

On peut renoncer aux mots qui ont mal vieilli / 1.


Il y a quelques jours, je postais ici quelques notes rapides autour de la devise de la république "Liberté - Égalité - Fraternité". Quelques commentaires m'ont incité à en dire plus. Je ressors donc ici un ensemble de réflexions beaucoup plus dense ; ça date de deux ou trois ans et j'avais pondu ça pour le blog "C(h)oeur de citoyens". Ces billets y sont toujours mais apparemment d'un accès malaisé. J'ai donc le plaisir de vous les re-présenter ici, à peine retouchés-actualisés.
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LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, principes fondateurs et devise bien connue de notre République (je parle bien ici de la République Française, au XX°-XXI° siècle)… Ce sont, ou ce sont censées être, les VALEURS de la République. Mes réflexions portent et porteront sur les termes, les concepts qu'ils recouvrent et leurs activations. Il est des mots dont nous sommes tellement intimement persuadés de connaitre leur sens que nous ne prenons même plus la peine de les définir ou redéfinir. « Ça va de soi »…? « Chacun sait que… » ? Voire… Ces mots (ou ces "maux", comme j'ai pu lire dans les commentaires – magnifique lapsus orthographicus !), ces mots-clés demandent à être questionnés, de même que le terme "valeurs" dont on se gorge. Et pourquoi pas "démocratie", "république", "citoyen", "justice", "nation", "territoire", "ordre"… et "devoirs" – grand oublié…?
Après tout, nous sommes ici dans un blog, un lieu de réflexion verbale-écrite. C'est l'endroit idéal où le faire.
• Aux grands mots (maux) les grands remèdes.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, qu'est-ce que c'est – et qu'est-ce qu'on en fait, nous, maintenant, "à l'aube du troisième millénaire", selon la formule poétique médiatique consacrée ? Peut-on encore y croire ?
D'abord, ces mots "sonnent vieux" (vieillots, désuets, obsolètes… "ringards"…? je ne dirai pas, mais perçus comme tels par nombre d'entre nous… et plus spécifiquement par la "droite décomplexée" en voie de remplacement par l'"extrême-droite décomplexée".) Ou trop chargés de passé révolutionnaire dépassé (comme les paroles horribles de La Marseillaise) ? Ou trop idéaux, idéels, idéalistes, irréels, platoniciens, utopiques ? Ou trop pollués par les mauvais usages répétés ? Peut-on les réactiver, les revivifier, les réhabiliter, leur redonner du sens, du sens pour ici et maintenant…? Cause toujours… Ça ne marche jamais. (Et ainsi, d'ailleurs, évolue la langue avec les mœurs… )
… Vaut-il donc mieux les bazarder une bonne fois et chercher autre chose ? Vouloir se passer de ou vouloir faire réduire à la cuisson les grands beaux mots n'est pas forcément du réductionnisme, c'est de la communication (voire de la com', au sens de publicité ou propagande). Il se trouve que le cynisme de l'époque, ou son désenchantement, le sarcasme des humoristes qui ne laissent rien passer, tout cela rend inutilisables certains termes à connotation chrétienne, moraliste, communiste, idéaliste.
Oh, les grands mots sont toujours là, ils peuvent toujours faire vibrer nos âmes d'enfants, mais quand Ségo se fait moquer avec son "fra-ter-ni-té"… et Martine avec son "care"… Quand un enfant de quatre ans, en "cours de philo" dit « la liberté, c'est quand on sort de prison »… Quand le bon sens populaire nous dit « tous les hommes sont égaux, mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres », ou Freud « tous les hommes sont ego »… on ne peut tout simplement plus employer ces termes naïvement, au premier degré. Quant à la fraternité… question de communication, pour ne pas apparaitre comme une sorte de hippie attardé, planant dans l'idéal idyllique de la fraternité universelle et la fumée des joints, et donc pour se faire entendre, il vaut peut-être mieux, modestement, parler de solidarité, solide, concrète, crédible.
Et faire.
Plutôt que de rêver d'un rêve type « quand les hommes vivront d'amour, il n'y aura plus de misère… » et « si tous les gars du monde voulaient se donner la main… », il vaut sans doute mieux tenter de réaliser la solidarité dans les faits et gestes, autour de soi, avec ses proches, dans l'accessible. "Se contenter", oui, d'établir une solidarité terre à terre… ce qui n'est déjà pas si facile.
Les bons sentiments, on le sait, ne suffisent pas, et les Grands Mots, parce qu'ils sont grands, cachent la réalité des petits actes. La fraternité "existant réellement", ce sont des actes qui la font, non le mot-concept et la rhétorique qui ne sont là que pour emporter l'adhésion (manipuler). En réalité, même, là où elle existe concrètement, activement, la plupart du temps elle n'est pas dite, les actes ne sont pas soulignés par un discours. (Quand c'est le cas, on sent l'effort, le volontarisme…) Que disent les gens du Nord qui reçoivent chez eux et nourrissent les clandestins de la "jungle de Calais" ? Parlent-ils de fraternité, de solidarité, de "care" ? Non, ils disent juste (et justement) : « On ne peut pas laisser des gens comme ça. »

(à suivre)

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