jeudi 16 janvier 2014

On peut renoncer aux mots qui ont mal vieilli / 4


• Liberté
La Déclaration de 1789 le dit clairement et simplement : « Article IV : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
… Sinon, c'est le chaos, et le chaos n'est pas la liberté. Exemple : au bar du coin, un obstiné fumeur tient absolument à fumer à l'intérieur. Coléreux : « On est dans un pays libre, non ?! » Ce qui fait que son voisin, qui n'apprécie pas de se faire enfumer, peut se sentir habilité, au nom de la même revendication de liberté, à lui foutre son poing sur la gueule. Chaos.
Dans le prolongement de ce genre d'attitudes de revendication infantile de liberté, j'ajoute que l'un des pièges du "principe liberté" est que le mot liberté a été récupéré, en quelque sorte "pris en otage" par les libéraux, néo-libéraux, ultra-libéraux, les capitalistes libertaires égotistes ou égocentriques, ultra-individualistes : laisser faire / laisser passer, libre échange, non régulation… Tout cela s'inscrivant dans l'anti-étatisme, et plus globalement, plus psychologiquement, dans l'anti-autoritarisme infantile, purement égocentré.
Le "tenir compte des autres", volontaire ou imposé par les lois, est la condition de la liberté. Relative. (Et se rappeler que plus il y a de monde, et plus rapprochés sont les gens (ville)… en bref, moins il y a de place (de place libre), moins il y a de liberté, ou en tout cas plus il y a besoin de règles, de lois, pour la paix sociale : la bonne gestion des frottements et heurts de la vie collective, la régulation des interactions.)
Une bonne part de notre liberté sociale est faite de liberté négative (ou "en creux") : le principe (réductionniste) qui veut qu'on puisse faire tout ce qui n'est pas explicitement interdit par les lois. Plus "des permissions" que "de la liberté".
Une bonne part de notre liberté sociale est faite de libertés au pluriel : liberté de conscience, d'opinion, d'expression… liberté d'entreprendre, liberté de religion, liberté de la presse, liberté syndicale, etc. Ce qui nous permet d'échapper au piège du Grand Mot métaphysique, nous remet les pieds dans le concret. LA liberté n'existe pas : il n'y a que DES libertés. (Et c'est déjà pas mal !) Encore ces libertés sont-elles "de principe", et il y aurait à les examiner une par une, dans leurs limites et leurs entraves.
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Pour que des règles collectives préservent la liberté (ou les libertés) de chacun et fonctionnent en paix, l'égalité est nécessaire. Et il faudra bien (accepter de) voir l'antagonisme qu'il y a à la base entre la liberté et les deux autres termes du contrat… ou au moins avec l'égalité.
Allez, une citation de Camus (mais on pourrait citer en entier "L"Homme révolté"…) : « La liberté absolue raille la justice. La justice absolue nie la liberté. Pour être fécondes, les deux notions doivent trouver, l'une dans l'autre, leur limite. »
(Mais peut-être est-ce justement la fraternité qui peut réduire cette hostilité.)
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(à suivre)

4 commentaires:

BleevK a dit…

Sans porter de jugement, forcer l'égalité est une négation évidente de la liberté. Le collectivisme est lui aussi une négation de la liberté. Je pense qu'il est temps d'admettre que, comme la droite, la gauche n'a que faire de LA liberté. Car, diviser les libertés est malheureusement aussi une négation des liberté et un autoritarisme malsain. Bref, et je dis ça sans animosité, votre conception de la liberté n'est pas du tout une acceptation de celle-ci et une incompréhension totale de la première phrase que vous citez –et qui est très belle. Je ne connaissais pas, merci au moins pour ça.

Unknown a dit…

Très bon texte, très sensé, comme souvent dans ce blog. Des idées à la hauteur de l'art de leur hauteur.

Tout le monde hurle "Liberté d'expression !", en ce moment, en France. Nourris à la télévision américaine, ils ont été persuadés que le Premier Amendement, c'est ça, la liberté d'expression...

Philippe Caza a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Philippe Caza a dit…

J'avais oublié de mettre "à suivre". L'Égalité et la Fraternité sont aux programme.